Consécutive au coup d’État d’août 2023, la transition politique au Gabon suscite un débat complexe et passionné quant à la place des anciens cadres du PDG au sein du nouveau gouvernement et des institutions. Dans ce contexte de dualité entre l’urgence des réformes et la nécessité de faire des choix judicieux en matière de leadership, les Gabonais s’interrogent sur la sincérité des nouvelles autorités. Cet article de l’enseignant-chercheur Ebamangoye Mbondobari explore les enjeux cruciaux de la transition gabonaise, mettant en lumière les préoccupations profondes de la société civile et de l’opposition face à cette période charnière de l’histoire du pays.

Avec la nomination de figures de l’ancien régime à des postes clés, la transition parviendra-t-elle à restaurer la confiance perdue des Gabonais et à jeter les bases d’une authentique démocratie ? Rien n’est moins sûr à ce stade. © Gabonreview/Shutterstock

 

Ebamangoye Mbondobari, enseignant-chercheur. © D.R.

L’urgence et la Raison, c’est à la lumière de cette dualité essentielle que devrait se mouvoir l’action du gouvernement de la transition. L’urgence des réformes, la Raison dans le choix des hommes. Interrogé sur la situation du Gabon après le coup d’état du 30 août 2023, le politiste Américain Brett L. Carter note cette effrayante réalité : « Ce qui est frappant rétrospectivement, c’est à quel point la loyauté envers le régime Bongo est transactionnelle. […] Le PDG a rapidement fait part de sa volonté de collaborer. Même certains membres de la famille Bongo ont félicité Oligui et les autres conspirateurs immédiatement après le coup d’Etat, alors que la localisation de Bongo, Sylvia et Nourredine restait incertaine. Il est remarquable de constater la rapidité avec laquelle le régime s’est effondré. La loyauté, une fois de plus, était transactionnelle. ». Ce que l’universitaire et analyste note avec justesse est depuis quelques semaines au centre d’une controverse sur la place, le statut et le rôle des cadres et hiérarques du Parti Démocratique Gabonais dans le processus de transition. Beaucoup de Gabonais voient dans le maintien de certains cadres de l’ancien régime à des postes de la haute administration la continuité de l’ancien Système sous une forme moins ostentatoire. Ils doutent donc de la sincérité des nouvelles autorités.

Comme à propos d’autres sociétés recherchant de nouveaux équilibres, il est presque naturel que la transition gabonaise soulève elle aussi des discussions passionnées, où la déception se heurte à la rancune contre le système déchu qui, il faut le dire, est pleinement responsable de la violence politique et de la paupérisation des Gabonais. Toutefois, au-delà, des querelles de clocher et de l’esprit revanchard, la question du rôle et du statut des cadres de l’ancien système mérite que l’on s’y attarde. Si sur le plan strictement politique, on pourrait comprendre l’idée d’une démarche inclusive, soucieuse de rassembler l’ensemble des Gabonais autour du projet commun, la construction d’une nouvelle République, celle qu’ils refusaient obstinément de voir émerger, le commun des mortels a parfois du mal à comprendre le choix de certains acteurs politiques eu égard au rôle qui était le leur pendant les années de plomb. En réalité, ce qui préoccupe le citoyen lambda, c’est la peur d’une récupération d’un mouvement contestataire par ceux-là même qui avaient, des années durant, et par tous les moyens légaux et illégaux, contribué au maintien du système. En somme, les hommes du système. Car, est-il besoin de le rappeler, l’envers de toutes les révolutions, c’est qu’elles maintiennent souvent au pouvoir ceux-là même qui ont contribué au chaos, à la déliquescence de l’Etat. Et ils sont nombreux dans les nouvelles institutions gabonaises. Plusieurs raisons expliquent d’ailleurs ce sentiment de déjà-vu.

Les enjeux de la transition :

En premier lieu, il y a le fait qu’une transition militaire est un régime d’exception. Mené par les militaires, principalement par ceux de la Garde Républicaine dont l’allégeance au clan Bongo est plus qu’une évidence, le changement est de plus en plus perçu comme une confiscation de la révolution populaire par l’élite militaire et politique. Dans un entretien accordé le 31 août 2023 à la chaîne de télévision française TV 5 Monde, le candidat d’Alternance 2023, Albert Ondo Ossa, évoquait déjà une révolution de palais en exigeant même que soit déclaré vainqueur celui qui était arrivé en tête de l’élection, c’est-à-dire lui. Cette option avait été refusée par la junte au pouvoir préférant mettre en avant la nécessité d’une réforme des institutions et la préparation d’une élection libre et crédible. Si cette approche est séduisante, Elle ne suffit néanmoins pas à rassurer les plus sceptiques qui la perçoivent de plus en plus comme un diktat d’Oligui Nguema et ses hommes.

Outre le premier ministre qui est un ancien membre du Parti Démocratique Gabonais passé à l’opposition, de nombreux ministres sont des hauts-cadres du pouvoir déchu. Le nouveau Président de l’Assemblée nationale de transition n’est autre que Jean-François Ndougou, éminent membre du PDG, il a été ministre de l’intérieur dans le gouvernement de Rose Francine Rogombé en 2009 et, à ce titre, il était responsable de l’organisation de l’élection présidentielle de 2009. L’histoire retiendra que cette élection avait été l’une des plus violentes qu’ait connu le pays, avec notamment une répression jusque-là inédite marquée par de nombreuses pertes humaines. Protégé par le système, Jean-François Ndougou n’a jamais été inquiété. Cet exemple est certainement le plus emblématique, mais il n’est pas le seul. Le vice-président du Sénat de transition, Luc Oyoubi, est également une autre figure emblématique de l’ancien système, même s’il semble relativiser le rôle qui a été le sien au cours de ces dernières décennies. Il y a quelque chose de profondément pathétique et d’extrêmement troublant à entendre un homme politique de cette trempe, quelques semaines après l’ouverture d’une voie qui devrait amorcer l’authentique renouvellement des élites politiques et une refondation des institutions au Gabon, se réjouir de ce que « tout n’était pas mauvais dans l’ancien système ». Avoir détruit de fond en comble les fondements socioéconomiques d’un pays riche comme le Gabon et sauvagement persécuté ses semblables, ceux qui restaient attachés aux valeurs de justice, restreint les libertés fondamentales de ses concitoyens pendant des années, tout cela ne semble pas suffisamment grave pour le secrétaire général adjoint du PDG. Le constat minimaliste auquel il aboutit laisse perplexe !

Dans la nouvelle Assemblée nationale de transition, environ 38% des membres sont visiblement identifiés comme d’anciens camarades du Parti Démocratique Gabonais. En d’autres termes, c’est au PDG qui a falsifié l’ensemble des élections des décennies durant et confisqué toutes les libertés fondamentales que revient le rôle d’orienter et de peser sur les décisions. Il n’y a pas meilleur moyen pour renverser l’esprit révolutionnaire. Surtout lorsqu’on sait par ailleurs que de nombreux apparatchiks de l’ancien régime fraichement installés à la Présidence de la République bénéficient de ce recyclage. Ces hommes d’appareils y ont trouvé un confortable terrier. On comprend aisément la position de Jean Valentin Leyama qui, sur sa page Facebook, notait que « le Parlement de transition [était] infesté de tous ceux qui ont encouragé, favorisé, soutenu la forfaiture d’Ali Bongo ». Le mot est dur, mais l’image réelle. On doit craindre une forme de restauration du système inique responsable de tant de malheurs. C’est cette récupération qu’une grande partie de la société civile dénoncent. Aux yeux du plus grand nombre des Gabonais, le style et les logiques du pouvoir n’ont donc pas véritablement changé. En définitive : Le roi est mort, vive le roi !

L’indépendance du CTRI en question

Psychologiquement et politiquement, le nouveau pouvoir apparaît comme tributaire d’une manière de faire et d’agir propre au pouvoir déchu. Les nominations aux postes de responsabilités y suivent encore des lignes tribales, les réseaux politiques et cultuels et le mélange si souhaitable entre les différentes composantes de la société gabonaise tarde à se produire. Il est réel mais timide. En somme, on prend les mêmes, c’est-à-dire ceux des membres du PDG plus ou moins mis à la touche par la Young Team, et on recommence. Il faudra certainement revenir à une nette distinction entre hommes politiques et fonctionnaires publics au service de la Nation et non d’intérêts privés et partisans pour asseoir les fondements d’une véritable Nouvelle République. Le danger de cette logique clientéliste se lit déjà dans les revendications récentes d’une partie de l’opposition habituée, on le sait, à revendiquer sa part du gâteau national.

S’il est absurde d’interdire à tout un groupe de citoyens de participer à la discussion politique et à la refondation de l’Etat et de l’administration sous prétexte qu’ils sont des membres du Parti Démocratique Gabonais, il est plus qu’urgent d’étudier les profils et les états de service des personnalités retenus pour que ne s’installe pas durablement un sentiment d’impunité et d’injustice. Il convient d’ailleurs de noter que si le Parti Démocratique Gabonais était de plus en plus isolé sur l’échiquier politique national, c’est aussi en raison de son attitude hostile aux réformes politiques et à la bonne gouvernance, de sa conception trop étroite de l’Etat de droit et de la démocratie. Il y avait, comme on l’a souvent dit, un hétéro-conditionnement, c’est-à-dire un dogmatisme de la pensée et du sentiment trop infaillible, pas assez de critique de soi chez les cadres de ce parti politique réactionnaire. Or la Transition devrait être menée, comme on l’a vu jusqu’ici dans l’approche des militaires, par des Esprits à la fois libres, sensibles à la situation politico-sociale, subtils dans leurs prises de positionnement et capables d’incarner une fraîcheur intellectuelle et morale. Difficile donc de s’imaginer que des hommes et des femmes qui de toute évidence n’ont pas été à la hauteur de leur charge, sans réelle éthique professionnelle puissent contribuer à la mise en place d’institutions neutres, transparentes et démocratiques. Ne dit-on pas que l’habitude est une seconde nature ? Déjà à présent, les effets des choix des personnalités de la transition se font ressentir : les activistes et autres influenceurs sont vent débout pour dénoncer les nominations de certains membres des deux chambres des futurs parlements. Ils y voient surtout une volonté d’étouffer la « révolution populaire » dans l’œuf. En fait, une forme de Récupération politique. Comme on le sait, la controverse engendre la controverse ; elle produit aussi le scepticisme. Dans l’atmosphère des luttes de partis, des personnalités qui recherchent à tous prix un point de chute, s’installent chez les Gabonais la lassitude, l’indifférence blasée, un malaise psychologique et le doute, qui ont marqué le magistère d’Ali Bongo Ondimba. Or l’un des paris de la Transition devrait être la restauration de la confiance dans des institutions fortes, humaines et impartiales. Il ne faudrait pas, comme on l’observe au quotidien, que la Transition soit tirer de manière insidieuse du côté d’esprits réactionnaires, qui ont vite fait d’adouber le Président de la République et qui ont été portés à le reconnaître comme un des leurs au nom d’appartenances tribales ou associatives.

Tout en cherchant à allier libéralisation politique et légitimité populaire, le CTRI devrait, avant tout, être à l’écoute du peuple en dissociant la stratégie de conservation du pouvoir de la construction démocratique, les équilibres géopolitiques et partisans des compétences technocratiques. La récente histoire du Gabon révèle une forme d’antinomie radicale entre ces différents projets. L’un est conservateur et réactionnaire, l’autre est ouverture sur la modernité à partir des valeurs de Justice, de Compétition et de Vérité. Ce qui nous fait penser que l’enjeu le plus important de cette Transition ne peut être mesuré, comme il s’est dit dans une certaine presse, en termes de mis à l’écart de la Young Team, mais, bien plus profondément, dans sa capacité à susciter une forme d’acceptance et d’espérance dans la société. Le Gabon n’a certainement pas besoin d’une rupture de façade. Le pays a surtout besoin d’Esprits vigoureux qui s’engagent tout entiers dans leurs croyances en un monde meilleur, d’hommes et de femmes libres et non de militants conditionnés et manipulables à dessein qui, leur carrière durant, ont eu peur de la liberté.

Ebamangoye Mbondobari, enseignant-chercheur

 
GR
 

1 Commentaire

  1. DesireNGUEMANZONG dit :

    Bonjour Ebamangoye Mbodobari,

    Nous débutez votre tribune en prenant appui sur deux postulats: l’urgence et la raison. Précisons-les : l’urgence des réformes et la raison dans le choix des hommes.

    Ces deux derniers n’ont pas été définis dans votre tribune. Ce qui est urgent suppose la nécessité d’agir vite. Or le but même de la transition n’est pas d’agir vite. Mais bien. Voire, au mieux des intérêts de la nation (Article 29 de la Charte de la transition). Plutôt que vous arc-bouter sur l’urgence des réformes, il convient plutôt de se positionner sur la « nécessité » (l’impératif) des réformes.

    Le Président sorti a failli à son devoir régalien: celui de « garantir la Constitution ». Sa modification « lunaire » avant les élections doit conduire à sa restauration (retour à la Constitution de 1991). Ce sera le travail des deux chambres constituées récemment dont les composantes posent problème. Sur ce point, je vous donne « raison ». Naturellement. Toutefois, en lisant l’article 1er de la Charte, l’inclusion est une des valeurs fondamentales qui oblige d’élargir le compas.

    S’agissant de la « raison » des choix des hommes pour mener le travail des réformes. On a l’impression que pour vous la raison est « normative ». Au fond, vous avez une approche kantienne de la raison fondée sur sa capacité d’assurer le bonheur qui s’entoure de moralité, de respect du devoir et de la morale.

    Toutefois, la rationalité est limitée (bounded rationality). Elle n’est pas parfaite. C’est l’idée selon laquelle la capacité de décider d’un individu est altérée par un ensemble de contraintes comme le manque d’informations (asymétrie informationnelle), des biais cognitifs (Kahnman et Tversky) ou encore le manque de temps. Dans cette optique, les décideurs ont tendance à choisir des solutions « satisfaisantes » plutôt qu' »optimales » (Herbert Simon, 1978).

    Le CTRI a proposé un mode de cooptation inclusif des compétences en quantité et en qualité pour au final avoir un équilibre général « acceptable » des forces vives de la nation pour remplir le « devoir de restaurer les institutions ». Einstein disait qu' »on ne règle pas les problèmes avec ceux qui les ont crées ». Mais Einstein se trompe. La transition est aussi une période d' »Amnistie » entre les « vainqueurs » et les « perdants ». Il faut tous se mettre sur la table, poser les problèmes et trouver une solution ensemble. Chez les bantu, c’est un fait réel.

    A ce moment de notre histoire, il n’y a plus de majorité ni d’opposition. Un mot important: unité nationale. Si les pédégistes font de l’esbroufe, alors il va falloir songer à créer un article 46bis et 47bis s’agissante de la révocation des parlementaires qui ne respecteraient l’article 29 de la Charte. La patrie est au-dessus des partis.

    « Chasser le naturel, il revient bau galop », dit l’adage. Je partage votre analyse sur le Pdg. Les pédégistes sont des personnes opportunistes qui n’ont plus d’amour propre ni d’état d’âme. Incapables de se remettre en cause. On entend la même ritournelle : le « sentiment du devoir accompli ». Ne font-ils pas tous un « déni »? Ont-ils leur place dans la transition? L’avenir nous le dira.

    Votre paper review est très remarquable dans sa structuration.

    En toute cordialité.

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