D’essence technocratique et gestionnaire, le projet porté par Madeleine Berre manque de souffle et de générosité. A maints égards, il donne le sentiment de promouvoir la doxa diffusée en France depuis un peu plus d’une décennie.

En compilant des recettes éculées, reflétant la novlangue des institutions de Bretton Woods, la ministre du Travail a manqué d’imagination. Elle a produit un texte hors-sol, coupé de la vraie vie et des politiques publiques. © Gabonreview/Shutterstock

 

Froidement, on peut en convenir : la réforme du Code du travail est mal menée, bâclée. Dans la forme comme dans le fond, elle ne tient compte ni du contexte politique, ni de l’environnement économique encore moins de la réalité sociale. Si les syndicats lui reprochent de sanctuariser les intérêts des employeurs, le projet en discussion n’est adossé à aucune politique publique de l’emploi connue. D’essence technocratique et gestionnaire, il manque de souffle et de générosité. A maints égards, il donne le sentiment de promouvoir la doxa diffusée en France depuis un peu plus d’une décennie. Établissant un lien de cause à effet entre le coût du travail et la hausse du chômage, il milite pour un abandon de nombreux droits acquis. Fondé sur la notion de mobilité, il promeut la judiciarisation des relations au sein de l’entreprise et le droit de licencier. Est-ce une réponse adaptée à notre économie ? Est-ce le reflet de cette égalité des chances tant vantée par Ali Bongo ?

Dérégulation du marché du travail

Lancé en février 2016, le «Programme pour l’égalité des chances» comporte un volet dédié à l’emploi. Affichant l’ambition de créer 100 000 postes à l’horizon 2020, il vise à «accélérer la diversification de notre économie». Affirmant la volonté de «sortir (notre pays) de la dépendance du pétrole», il évoque un accroissement de «notre réseau routier de 50%.» De même, il parle de «favoriser le développement de l’agriculture, des services, du BTP, des mines et de la foresterie.» C’est dire si, dans l’entendement d’Ali Bongo, la politique de l’emploi découle de la politique économique et, par voie de conséquence, de la stratégie d’investissement. C’est aussi dire si les investissements directs étrangers peuvent y jouer un rôle de catalyseur. C’est enfin dire s’il y a nécessité d’assainir l’environnement des affaires. Vu sous cet angle, seul un interventionnisme étatique, motivé par une politique de la demande, peut aider à atteindre les objectifs.

Désormais engagé dans une sorte de dérégulation du marché du travail, le gouvernement peine à convaincre. Et pour cause : depuis de trop longues années, une certaine technocratie juge le Code du travail «rigide» et peu favorable à la création d’emplois. Goûtant peu aux protections accordées aux travailleurs, elle a toujours milité pour un assouplissement des conditions de résiliation du contrat de travail. Invariablement, elle s’est prononcée pour le déverrouillage du contrat à durée déterminée et l’adoption de modalités de licenciement beaucoup plus souples. Peu acquise au principe de faveur, elle n’a jamais eu des commentaires amènes sur le rôle des inspecteurs du travail. Dans son «Rapport sur l’emploi et la croissance en République gabonaise» publié en 2013, la Banque mondiale l’a clairement consigné. L’année suivante, en 2014, elle le confirmait dans son «Rapport sur la diversification et la compétitivité des exportations en République gabonaise

Une lecture holistique

Au demeurant, la réforme portée par Madeleine Berre reflète la novlangue des institutions de Bretton Woods. Fortement inspirée par l’idéologie néo-libérale, elle reprend le discours convenu sur la liberté de gestion des entreprises. En compilant des recettes éculées, la ministre du Travail a manqué d’imagination. Elle a produit un texte hors-sol, coupé de la vraie vie et des politiques publiques. Le marché du travail gabonais est trop étroit, trop rudimentaire, pour fonctionner à la mobilité. Et il y a encore trop de réformes à mener à terme pour concilier flexibilité et sécurité. Sauf à faire preuve de désinvolture, on ne peut faciliter les licenciements sans préalablement songer à rendre effective l’assurance-chômage. Or, prévu par le Code de protection sociale adopté en 2007, elle demeure un vœu pieux. A ce jour, ni le Compte d’épargne chômage (CEC) ni l’allocation chômage ne sont effectifs.

Comme en attestent les difficultés de la CNSS et de la CNAMGS, les modalités de financement de la protection sociale continuent d’alimenter les débats. Comme le prouve le dernier passage de Roger Owono Mba devant l’Assemblée nationale, l’organisation et le fonctionnement des différents régimes restent à parfaire. A ce jour, l’arrêté censé préciser «les taux, l’assiette, le plafond, l’âge et le coefficient ainsi que les autres modalités de fonctionnement du CEC» n’a jamais été pris. Idem pour celui relatif aux «assujettis, (…) conditions d’ouverture et (…) services des prestations» de l’allocation chômage. Dès lors, la colère des syndicats comme les ricanements de l’opinion se comprennent aisément. Si elle avait voulu accoucher d’un texte novateur et réaliste, Madeleine Berre aurait dû avoir une lecture holistique. Elle aurait gagné à envisager l’emploi comme un élément de la politique de redistribution de la richesse nationale. A moins de se tenir prête à un affrontement aux conséquences incertaines ou de se moquer de la précarisation du travailleur, elle peut encore revoir sa copie.

 
GR
 

4 Commentaires

  1. Eniga dit :

    Blablabla,
    Nous sommes un pays sous développé qui se prend pour l’Occident.
    Comparez vous, regardez autours de vous, tous les pays sont en concurrence pour
    attirer des investisseurs, oui il faut de la souplesse dans le code du travail car au niveau ou nous nous trouvons le plus important est de trouver un travail rémunéré à chaque gabonais et non pas assurer des garanties supplémentaires d’emplois à des privilégiés (ONEP,SYNTEC etc…).

  2. Eniga dit :

    Cher compatriote,

    En quoi, c’est une honte qui ferait de l’employé un esclave ?
    Arrêtez les inepties et d’exciter la population pour rien.
    Oui, il faut une évolution du code de travail gabonais vers plus de souplesse.
    Car à part certaines grandes entreprises dans ce pays, les employés ne bénéficient pas du code.
    Comment traiter vous , votre ménagère, nounou, gardien ou manoeuvre etc…
    plus de souplesse permettrait de sortir du système informel pour les sécuriser dans leur emploi.

    Nous avons besoin de travail pour tout les gabonais pour pouvoir développer ce pays et pas de corporatisme stérile qui font fuir les investisseurs.

  3. ANGOUE cYRILLE dit :

    Chère Roxane,
    C’est toujours un bonheur de vous lire et j’apprécie particulièrement vos analyses, souvent pertinentes, parfois peut-être plus idéalistes que pragmatiques.
    Le projet de Code du Travail proposé par Madeleine Berre n’est sans doute pas holistique, ni idéaliste, il est pragmatique. Il tient compte de la vision du Gouvernement, et s’adosse sur une parfaite connaissance de notre marché du travail. Les nouvelles formes contractuels, les nouveaux types d’emplois,leur sécurisation, une plus grande implication des partenaires sociaux dans les procédures de ruptures de contrats…ce sont là, entres autres, les principales innovations de ce projet dont je vous exhorte à approfondir la lecture et la compréhension, pour ne pas me laisser, et peut-être à d’autres aussi,avec cet étrange sentiment de vouloir épouser la tendance du moment…
    Puis-je me permettre,pour terminer cette intervention, de vous rappeler, car vous le savez parfaitement, que l’emploi, avant d’être un élément de la redistribution de richesse nationale, est surtout et avant tout, dans le monde de l’entreprise, un facteur de production, et donc un élément de la performance de cette entreprise…et dans le contexte de concurrence accélérée, tout ce qui participe à donner un avantage comparatif ne mérite-t-il pas un regard…différent ?

Poster un commentaire