À l’observation, Marie-Madeleine Mborantsuo tisse sa toile depuis bien longtemps. Au pays de l’ingratitude politique, serait-ce l’application du principe de précaution par celle qui, théoriquement, ne sera plus «la femme la plus puissante du Gabon» à partir de 2028 ? Petit aperçu des réseaux dormants de la sempiternelle présidente de la Cour constitutionnelle. Coup d’œil furtif sur une ambition présidentielle qui bruit de toute part.

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Même si les textes en vigueur concernant la désignation des Conseillers-membres de la Haute autorité de la communication (HAC) stipulent que trois d’entre eux sont nommés par le président de la République, deux par le président de l’Assemblée nationale, deux autres par le président du Sénat, et les deux derniers élus par leurs pairs, on constate que sur les sept membres non élus, quatre au moins sont du giron de la présidente de la Cour constitutionnelle. Sa surexposition médiatique de ces dernières semaines donne l’impression qu’elle voudrait se poser en recours pour 2023.

Le 31 octobre dernier marquait le 31ème anniversaire de l’arrivée de Marie-Madeleine Mborantsuo (3M) au poste de président de la Cour constitutionnelle ! Le 31 octobre 1991 en effet, l’ancienne présidente de la Cour des Comptes avait été élue par ses pairs à la présidence de la haute institution juridictionnelle. Elle avait alors 36 ans ! Et elle ne s’occupait alors que de la Cour constitutionnelle. Aujourd’hui cependant, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la place importante qu’elle prend, de plus en plus, non seulement dans l’espace politique, mais aussi dans le débat public. La Constitution a en effet attribué à l’institution qu’elle dirige des pans entiers des attributs du pouvoir exécutif.

En tout cas, celle qui est considérée par de nombreux Gabonais comme la «femme la plus puissante du Gabon» dispose d’un aréopage de personnalités au sein du gouvernement. Pour exemple, selon une légende urbaine bien ancrée, 3M serait à l’origine de la désignation de l’actuelle cheffe du gouvernement, et plusieurs de ses proches ou de son giron siégeraient dans diverses institutions de l’État, entreprises publiques et directions générales parmi les plus fortes.

Voudrait-elle se poser en recours ?

Libreville bruit de rumeurs sur les prochains scrutins électoraux. Les unes vraies, les autres infondées. Mais une observation tout de même : toutes les Autorités administratives indépendantes sont dirigées par les «hommes» de 3M, à commencer par Moïse Bibalou Koumba, président du Centre gabonais des élections (CGE), qui, auparavant, siégeait à son cabinet. Il ne fait d’ailleurs aucun doute que la succession, prévue ce mois-ci, de Bibalou Koumba à la tête du CGE sera assurée par un autre membre de l’écurie Mborantsuo. Il y a aussi Raphaël Ntoutoume Nkoghé (précédemment) à la Haute autorité de la Communication (Hac), de Joël Dominique Lédaga à la Commission nationale de protection des données à caractère personnel (CNPDCP), et de Nestor Mbou, son ancien assistant, à la Commission nationale de lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite (CNLCEI).

Des sources généralement bien informées affirment que, à la HAC tout particulièrement,  les trois-quarts des Conseillers-membres appartiennent à sa sphère d’influence, à l’exception de l’actuel président de l’institution, Germain Ngoyo Moussavou, et du conseiller-membre Jean-François Mouwaka Ngonda. Les autres membres, Félicien Biviga Koumba, Max Olivier Koumba (qui vient de remplacer Lucie Akalane, revenue à la Cour constitutionnelle après avoir été porte-parole de la Hac), ainsi que Guy-Roger Ombanda Lendira, et Christian Lassény feraient partie de son écurie.

La femme la plus puissante du Gabon dispose, en plus, de plusieurs proches au sein même de la Cour constitutionnelle, à l’instar de Lucie Akalane, Louise Angué, Sosthène Momboua et Jacques Lébama, voire Christian Bignoumba Fernandes et Afriquita Agondjo. Si la rumeur est le marché noir de l’information, au marché noir il n’y a pas toujours que du toc.

«Principe de précaution» ?

Est-ce ce que l’on pourrait appeler «principe de précaution» chez celle dont le marché noir de l’information assure, depuis quelque temps, qu’elle ne dirait pas non si la proposition de se porter candidate à la prochaine élection présidentielle lui était faite ? Après 31 ans au poste de président de la Cour constitutionnelle, Marie-Madeleine Mborantsuo ambitionnerait-elle de se retrouver au Palais situé à moins de 5 mn de marche du siège de la Cour constitutionnelle ? Animée par le Camerounais Consty Eka et diffusée sur une douzaine de chaînes de télévision, l’émission spéciale dont elle était l’invitée il y a quinze jours, s’inscrit-elle dans cette perspective ?

D’ailleurs, tout au long de cette émission face à un journaliste venu «passer les plats», le propos de Marie-Madeleine Mborantsuo était plus porté sur le «Je». Toutes choses qui font dire à un politologue gabonais analyste du discours politique, que «depuis plusieurs années, 3M tisse sa toile. Elle fait nommer ses proches à des fonctions importantes, elle dit «j’ai fait» et non «nous avons fait», et elle donne le sentiment qu’elle se poserait en recours au cas où…». Citée plus haut, l’émission «Consty Eka reçoit le Dr Marie-Madeleine Mborantsuo pour son devoir de mémoire», avait si peu de spontanéité, tout était «encadré» et, hélas, cela ne se voyait que trop. Une ‘’opération de comm’’ n’ayant pas coûté des broutilles pour générer, au final, des effets pervers multiples.

Avec tous les soutiens qu’elle a «installés» au gouvernement et dans les autorités administratives indépendantes citées plus haut (HAC, CGE, CNLCEI, CNPDCP) et au sein même de la Cour constitutionnelle, Marie-Madeleine Mborantsuo semble s’être bien préparée pour «la suite de l’aventure».

Une image à construire

Il y a cependant que, dans l’opinion, nombreux sont ceux qui ne la perçoivent pas, il faut le dire, comme une «présidentiable», en dépit de tous les efforts qu’elle fait pour se «présidentialiser». Les joutes verbales sont cruelles, les échanges sont violents, le débat politique l’est aussi. Saura-t-elle y faire face au cas où ?  En fait, son vrai talon d’Achille est le rôle qu’elle joue depuis plus de trois décennies à la Cour constitutionnelle. Peut-être aura-t-elle le temps de se construire une image. Mais, aura-t-elle vraiment le temps de s’en construire, l’opinion lui ayant attribué le pseudonyme de «Tour de pise», donc d’antidémocrate, pour son inclination à des interprétations spécieuses de la loi toujours au bénéfice du pouvoir en place.

Nommée en 2019 pour un (dernier) mandat de neuf ans conformément à la dernière révision de la Loi fondamentale, après les mandats 1991-1998, 1998-2005, 2005-2012 et 2012-2019, Marie-Madeleine Mborantsuo aura 73 ans à la fin de son mandat actuel à la présidence de la haute instance juridique. Un nouveau bureau de l’institution sera désigné dorénavant tous les neuf ans, en raison du mandat unique décidé par les Accords d’Angondjé. En un mot comme en mille, la Cour constitutionnelle aura un autre président en 2028.

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GR
 

1 Commentaire

  1. Paul Romain BUSSAMB BU BOUSSOUGOU dit :

    Bonne analyse.
    En 2018, Mborantsuo a aussi dissous l’Assemblée nationale et transféré ses prérogatives au Sénat pendant plus de six mois.

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