En invitant le ministre de l’Intérieur et sa collègue en charge des Relations avec les institutions constitutionnelles à s’expliquer sur des sujets de son choix, la Cour constitutionnelle a empiété sur les attributions du Parlement, s’érigeant en instance de contrôle de l’action du gouvernement.

La Cour constitutionnelle tombe trop souvent dans l’outrance, s’autorisant à étendre son mandat au gré des circonstances. Elle ne peut continuer à grignoter toujours plus de pouvoir ou à statuer au-delà des prétentions des requérants. © Gabonreview

 

La convocation du ministre de l’Intérieur et de sa collègue en charge des Relations avec les institutions constitutionnelles ne contribuera pas à redorer l’image de la Cour constitutionnelle. Encore moins à clarifier son mandat. Bien au contraire. Elle en rajoutera aux accusations d’omnipotence et même d’usurpation de pouvoir. Saisie par Réappropriation du Gabon et de son indépendance pour sa reconstruction (Réagir) aux fins de statuer sur la caducité du bureau du Centre gabonais des élections (CGE), la juridiction constitutionnelle a cru devoir s’intéresser à d’autres questions, notamment l’actualisation du fichier électoral et la délivrance de la carte nationale d’identité. En agissant de la sorte, elle a allègrement empiété sur les attributions du Parlement, s’érigeant en instance de contrôle de l’action du gouvernement.

Dérive

Tout à la fois «juge de la constitutionnalité des lois et de la régularité des élections», garant des «droits fondamentaux de la personne humaine et (des) libertés publiques», «organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics», la Cour constitutionnelle tombe trop souvent dans l’outrance, s’autorisant à étendre son mandat au gré des circonstances. Disposant du droit de statuer sur les actes réglementaires depuis janvier 2021, elle vient de s’accaparer de l’une des trois missions reconnues au Parlement. Désormais, tout membre du gouvernement pourra être invité à s’expliquer devant elle. Quelle différence fondamentale entre la question des cartes nationales d’identité et celles relatives à l’adduction d’eau ou au fonctionnement des hôpitaux ? Aucune : elles se rapportent toutes à la mise en œuvre des politiques publiques. Mieux, elles relèvent toutes de droits fondamentaux de la personne humaine. Après tout, le droit à l’eau et à l’assainissement, comme le droit d’accès aux soins, sont reconnus comme tels. Pourquoi se priverait-elle de convoquer le ministre de l’Hydraulique ou celui de la Santé si elle en ressent le besoin ?

Deux prérogatives favorisent cette dérive : celle de garant des «droits fondamentaux de la personne humaine et (des) libertés publiques» et celle d’ «organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics.»  Jouant de son pouvoir d’interprétation, la Cour constitutionnelle leur donne un contenu modulable à satiété. Pourtant, au vu des conditions de désignation de ses membres, elle aurait pu faire montre d’un minimum de retenue. Eu égard au passé et aux états de service de nombre d’entre eux, elle aurait pu se montrer plus prudente. Comment s’attribuer autant de pouvoirs quand on est nommé et pas élu ? N’est-ce pas une négation du sens et de la portée du vote ? Quelle garantie de compétence ou d’indépendance quand les gens viennent d’horizons divers ou quand ils ont notoirement été militants voire cadres-dirigeants du parti au pouvoir ? Quelle crédibilité quand la juridiction se déclare compétente sur tout et rien ? Ou quand elle choisit toujours d’aller au-delà de l’objet de la saisine ?

Mieux circonscrire son champ d’intervention

Certes, la mise à jour du fichier électoral et la délivrance des cartes nationales d’identité sont des sous-points de question électorale. Certes, de nombreuses forces sociales ont déjà eu à se prononcer sur ces questions. Mais la requête de Réagir portait sur un point précis : la caducité du bureau du CGE. Jamais, il n’a été question d’autre chose. Si elle devait se prononcer sur la base des textes, à aucun moment il ne lui était demandé d’évaluer ou questionner l’action gouvernementale. En quoi le retard dans le processus d’enrôlement et la non-délivrance des pièces d’identités conditionnent-ils le renouvellement du bureau du CGE ? Quel lien de causalité entre ces trois thématiques ?

La Cour constitutionnelle ne peut continuer à grignoter toujours plus de pouvoir ou à statuer au-delà des prétentions des requérants. Poursuivre dans cette voie reviendrait à concentrer tous les pouvoirs entre les mêmes mains, à fabriquer un monstre voire à nier le principe de séparation des pouvoirs, au risque de gripper l’ensemble de la machine. Si elle peut se prévaloir du rôle de «régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics», rien de lui interdit de mieux circonscrire son champ d’intervention. Rien ne l’oblige à faire comme si elle tient sa puissance du suffrage universel ou comme si ses membres sont des juristes émérites, respectés pour leurs travaux. Même si elle n’est ni le constituant ni le législateur, la juridiction constitutionnelle ferait œuvre utile en réfléchissant à un changement d’attitude voire à sa propre réforme.

 
GR
 

2 Commentaires

  1. ENDUNDU dit :

    Ça c’est un procès d’intention, pas plus. Le parlement gabonais est aphone. Il est bien dit que la CC est aussi organe régulateur institutionnel de l’État. Quand vous êtes hors normes, elle a le droit de ramener à la raison. C’est clair comme l’eau Andza.

  2. Maganga Octave dit :

    @Edundu. Bravo. Vous faites exactement comme elle : vous confondez le contrôle et la régulation. Demain, elle va aussi demander où en est la Transgabonaise non…

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