Le 30 août, les militaires ne s’en étaient pas pris aux civils, mais au «régime en place». L’armée ne s’était pas élevée contre les partis politiques, mais contre «une gouvernance irresponsable, imprévisible…»

Le 30 août 2023, les militaires ne s’en étaient pas pris aux civils, mais au «régime en place». L’armée ne s’était pas élevée contre les partis politiques, mais contre «une gouvernance irresponsable, imprévisible, (marquée) par une dégradation continue de la cohésion sociale, risquant de conduire le pays au chaos». © GabonReview

 

La réaction fut à la mesure du péril annoncé : au moment où le Centre gabonais des élections (CGE) donnait Ali Bongo vainqueur pour la troisième fois, où les uns s’attendaient à une nouvelle répression féroce, les forces de défense et de sécurité prirent leurs responsabilités, mettant fin à plus d’un demi-siècle de règne sans partage, avant d’annoncer la création du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI). Jusque-là tenue pour complice d’un régime corrompu, intolérant et irresponsable, l’armée regagnait l’estime des populations, se couvrant d’une auréole d’héroïne. Un peu plus de cinq mois plus tard, cet épisode est désormais interprété avec des arrière-pensées politiciennes. Comme si la Grande muette avait vocation à faire de la politique ou à s’éterniser au pouvoir. Comme si elle était en compétition avec les partis traditionnels, désormais présentés comme inutiles. Comme si militaires et civils disposaient des mêmes moyens d’action.

Rupture du «lien armée-nation»

Dans la nuit du 30 août 2023, le CTRI avait affirmé avoir agi pour empêcher la validation d’élections organisées dans des conditions indignes du «scrutin transparent, crédible et inclusif tant espéré par les Gabonais». Dénonçant des «résultats tronqués», il annonçait leur annulation. Sans autre forme de procès. Au fil du temps, ce discours a évolué, les civils étant désormais mis dans le même sac, accusés de tous les tords, y compris de couardise et d’incompétence. «Un régime militaire pragmatique réussit mieux que les régimes civils corrompus à outrance», pouvait-on récemment lire sous la plume de l’ancien journaliste Jean-Maurice Mboumba Ibinda. «Où est la décision de justice qui a condamné tous les civils pour des faits de corruption ou de fraude électorale ?», rétorquait Etienne Francky Meba Ondo, vice-président de Réagir. A lire certains commentateurs, l’état du pays n’est pas la conséquence des choix opérés par la dynastie Bongo et le Parti démocratique gabonais (PDG). Il serait la résultante des agissements de tous les partis politiques voire de tous les citoyens, excepté les militaires.

À force d’opposer l’armée aux partis politiques, les militaires aux civils, certains font peser une lourde hypothèque sur la Transition. Sans s’en rendre compte, ils ravivent des souvenirs douloureux. Sans le savoir, ils relancent la polémique sur l’identité des exécutants des répressions consécutives aux présidentielles de 93, 2005, 2009 et 2016. Sans en avoir conscience, ils travaillent à saper la cohésion au sein des organes de la Transition, le gouvernement, les deux chambres du Parlement et même certaines administrations étant composés de militaires et de civils issus de la société civile et des partis politiques. Au-delà, ils œuvrent à la rupture de ce «lien armée-nation» récemment magnifié par le porte-parole du CTRI. Dans quel but ? Se faire mousser ? Peut-être. Dans l’intérêt de qui ? Du CTRI et de l’armée ? Pas sûr. Le leur ? On n’en sait rien.

Comportements divisionnistes

Pour en finir avec ces dérives langagières, ces querelles byzantines, il n’y a pas mille solutions. Il faut revenir à l’esprit du 30 août. Ce jour-là, les militaires ne s’en étaient pas pris aux civils, mais au «régime en place». L’armée ne s’était pas élevée contre les partis politiques, mais contre «une gouvernance irresponsable, imprévisible, qui se (traduisait) par une dégradation continue de la cohésion sociale, risquant de conduire le pays au chaos». La transition étant définie comme «un processus politique censé permettre le passage progressif d’un régime dictatorial ou autoritaire à une démocratie», il paraît inopportun d’accabler l’ensemble des partis politiques ou de chercher à disqualifier les civils. Ni les uns ni les autres ne sont responsables de l’état du pays. Bien au contraire. Beaucoup parmi eux ont été victimes des outrances du régime déchu. D’autres ont subi les pires avanies pour avoir rêvé d’un autre Gabon ou pour avoir osé faire entendre des idées jugées peu orthodoxes.

Au sortir de 14 ans d’une gouvernance caractérisée par un sectarisme à nul autre pareil, notre pays ne doit pas retomber dans des querelles de clochers et autres comportements divisionnistes. Comme on l’observe depuis quelques temps, la Transition doit être une opportunité pour réconcilier l’armée avec la population et les autres forces sociales. N’en déplaise aux sectateurs autoproclamés du CTRI, cette ambition ne relève ni de l’opportunisme politique ni du déni de réalité, l’ouverture étant universellement reconnue comme un des piliers de la bonne gouvernance et, partant, de la réussite des processus politiques.

 

 

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GR
 

2 Commentaires

  1. Rembourakinda dit :

    Je demande au Ctri, de poser la question de la révision des accords qui nous lient à la France. Sans quoi il y aura jamais d’essor vers la félicité. Le parlement français a adopté une loi anti immigration, comprenez anti noirs africains et nous bêtement nous continuons à servir la soupe aux racistes. Honte à à nous.

  2. Gayo dit :

    Certes il n’y a pas de décision de justice qui rend tous les civils coupables des faits de corruption et de fraude électorale. Mais Etienne Francky Meba Ondo se met hors sujet. Puisque dire que les militaires sont plus à même à arriver de meilleure résultats, surtout dans la situation actuelle de redressement ne veut pas dire que les civils sont tous corrompus. Mais il faut objectivement reconnaitre que certains catégories ou groupe de citoyens de par leur formation aux cursus sélectifs, les épreuves de leurs parcours qui imposent l’adoption d’une culture de discipline à tout épreuve, de travail et de résultats sont plus équipés pour restaurer, relever un pays à terre. On ne mange pas la démocratie qui certes est le moindre risque par rapport à l’arbitraire, aux abus de pouvoir et autres, mais on ne la mange pas et elle n’offre pas toujours une garantie certaine pour atteindre les objectifs de développement sans lesquels une démocratie durable est impossible. Il faut être réaliste, la démocratie n’est parfois qu’une chimère ou un luxe pour une population dont une grande partie se bat encore pour les besoins primaires, manque encore de culture et de conscience politique et vit une réalité trop éloignée de celle de ses élites qui la manipule. Aujourd’hui en matière de développement on prend souvent en exemple les modèles asiatiques en oubliant que le prix à payer pour ces miracles économiques c’était l’absence de démocratie et des droits humains pendant une certaine période (Corée du Sud, Singapour, etc.). Je ne souhaite pas autant de souffrance pour notre peuple pour arriver vers son essor mais arrêtez de faire croire que la retour à un régime élu est l’urgence du moment, qu’il résoudra les problèmes essentiels, alors qu’on ne sait pas encore comment on va y arriver pour que rapidement les gabonais mangent à leur faim et puissent se soigner et vivent dignement. Le contexte international impose de limiter cette transition à 2 ans. Mais avec un peu d’objectivité, de réalisme et de gratitude aussi, qu’Oligui et ses hommes restent la durée d’un mandat de 5 ans est encore plus légitime que la précipitation vers un retour à une démocratie pour continuer à tourner en rond. Etant donné qu’il ne peut faire ces 5 ans utiles, il ne lui reste qu’à s’assurer un soutien de ses camarades et d’autres gabonais au caractère et à la discipline éprouvés pour être élu et assurer le premier mandat d’un retour à la démocratie. S’il est réellement là pour le bien du Gabon et non le sien et celui de sa famille comme les Bongo, la durée de la transition et un mandat lui sont suffisants pour remettre le pays sur les railles et se retirer. Je ne crois pas qu’on arrivera à sortir notre pays de là où il est sans consentir à certains renoncements sur la démocratie sur une durée raisonnable. C’est une réalité douloureuse, mais lorsqu’on est encore aussi lions du développement la démocratie occidentale peut être un frein au développement.

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