Paru dans le journal en ligne ‘Mondafrique’, le 21 septembre 2023. Analyse de la situation post-coup d’État au Gabon par l’expert américain Brett L. Carter* : les enjeux politiques, économiques et sociaux,  l’inévitabilité du coup d’État, le soutien international timide, les incertitudes entourant la durée de la transition, l’éligibilité du nouvel homme fort, les anciens cadres du PDG dans le nouveau gouvernement, l’avenir politique d’Albert Ondo Ossa… Un décryptage essentiel des défis et opportunités qui attendent le Gabon dans cette période cruciale de son histoire.

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* Brett L. Carter, universitaire américain (université de Californie du sud, Université de Stanford), auteur et membre du Think thank Hoover institution. © D.R.

Dans une interview exclusive accordée le 21 septembre 2023 au journal en ligne Mondafrique, l’éminent universitaire américain Brett L. Carter, qui enseigne à l’Université de Californie du Sud et à l’Université de Stanford tout en étant membre du Think tank Hoover Institution, a livré des analyses percutantes sur la situation actuelle au Gabon, marquée par le renversement du président Ali Bongo le 30 août 2023.

Un coup d’État inévitable

Selon Brett L. Carter commence le coup d’État contre Ali Bongo était inévitable : le président gabonais n’a jamais totalement récupéré de son accident vasculaire cérébral en 2018, et de nombreux membres de l’ancien régime doutaient de sa capacité à gouverner efficacement tout en protégeant leurs intérêts. Pour eux, Brice Oligui Nguema représentait une alternative.

Carter souligne que la loyauté envers le régime Bongo était essentiellement transactionnelle, ce qui a conduit à son effondrement rapide :

«Ce qui est frappant, c’est à quel point la loyauté envers le régime Bongo était purement transactionnelle. Des images de soldats de la Garde républicaine chantant ‘Je m’en fous d’Ali Bongo’ après le coup en témoignent. Le Parti démocratique gabonais (PDG) a rapidement exprimé sa volonté de coopérer, et même certains membres de la famille Bongo ont félicité les conspirateurs après le coup, montrant à quel point la loyauté était superficielle. Ali Bongo lui-même semblait même quelque peu soulagé, étant donné que son état de santé limitait sa capacité à gouverner

Un soutien international timide

Concernant le soutien international à Ali Bongo, Brett L. Carter note qu’il a été minimal. Expliquant que la France avait longtemps bénéficié de pétrole bon marché du Gabon en échange de protection et d’autres avantages économiques, mais que la diminution de la production pétrolière gabonaise a réduit cette influence, il déduit que les gouvernements occidentaux sont ainsi davantage préoccupés par les défis au Sahel. à ce sujet Carter estime :

«Effectivement, le soutien international à Ali Bongo a été minimal, ce qui n’est pas surprenant. Pendant longtemps, la famille Bongo a fourni du pétrole bon marché à la France en échange de protection et de privilèges économiques. Cependant, avec la diminution de la production pétrolière gabonaise, leur influence s’est réduite. Les gouvernements occidentaux sont actuellement plus préoccupés par les défis au Sahel

L’incertaine transition et les ambitions d’Oligui Nguema

L’expert américain se montre préoccupé par l’absence de précision quant à la durée de la transition au Gabon. Il estime que cette période doit être clairement définie pour éviter des troubles prolongés. De plus, il s’inquiète de l’incertitude entourant l’éligibilité de Brice Oligui Nguema à l’élection présidentielle et de la propagande en faveur de ce dernier. Carter évoque la possibilité que Brice Oligui se présente aux élections, ce qui serait probablement couronné de succès, à moins d’une pression généralisée pour l’en dissuader. Il exprime ses préoccupations en ces termes :

«L’absence de précision sur la durée de la transition est préoccupante. Il est crucial que cette période soit clairement définie pour éviter des troubles prolongés. De plus, l’incertitude concernant l’éligibilité de Brice Oligui Nguema à l’élection présidentielle est source d’inquiétude. Le fait que le nouveau régime contrôle l’appareil de propagande autrefois dédié aux Bongo soulève des questions sur une éventuelle candidature d’Oligui Nguema aux élections

Les anciens cadres du PDG dans le nouveau régime

Brett L. Carter aborde également la présence d’anciens cadres du Parti démocratique gabonais (PDG) dans le nouveau gouvernement. Il suggère qu’il est possible que le nouveau régime ne crée pas de commission de type «Vérité et réconciliation» pour documenter la corruption massive des dernières décennies. Il exprime des réserves quant à la probabilité de voir de telles commissions se mettre en place, malgré leur utilité potentielle pour les citoyens gabonais. Il fait part de ses inquiétudes en ces termes :

«L’absence de justification publique de [la] libération [d’Ali Bongo] est préoccupante. À mon avis, il s’agit d’un signal implicite que le nouveau régime ne créera probablement pas de commission du type ‘Vérité et réconciliation’ pour documenter la corruption massive des dernières décennies.»

L’avenir politique d’Albert Ondo Ossa

Amené à aborder l’avenir politique d’Albert Ondo Ossa, Brett L. Carter estime qu’il est possible qu’il ait un rôle politique au Gabon, mais il ne faut pas exagérer sa popularité. Ossa pourrait se présenter aux élections de 2025, mais sa victoire ne serait pas garantie. Il conclut en partageant ses préoccupations quant à l’avenir du Gabon. Bien que le gouvernement de transition ait pris des mesures prometteuses, l’incertitude persistante sur la durée de cette transition et sur les ambitions d’Oligui Nguema jette une ombre sur l’avenir du pays. Carter invite à la vigilance et à la réflexion dans cette période cruciale de l’histoire gabonaise.

À travers l’analyse perspicace de Brett L. Carter, cette interview offre un aperçu profond de la situation au Gabon après le renversement d’Ali Bongo, tout en suscitant des interrogations importantes sur les évolutions à venir au Gabon.

 
GR
 

2 Commentaires

  1. Akoma Mba dit :

    Le Général Oligui Nguéma se doit d’assainir le Gabon et rétourner dans les casernes dans 18 mois. Il avait cité Jerry Rawlings du Ghana qui avait perpétré deux Coups d’Etat pour que le Ghana devienne cette belle démocratie qu’elle est aujourd’hui où de riches hommes d’affaires noirs américains viennent s’y installer définitivement et investissent. Le pouvoir aux Civils pour une démocratie digne de ce nom.

  2. Dikando dit :

    Les militaires n’ont pas 1 mois à la tête du pays qu’ont parle déjà de leur départ…
    Cher(e)s compatriotes, nous avions des civils depuis l’indépendance, pendant 63 ans, où en étaient nos libertés ? Nos écoles et universités ? Notre santé ? Nos comptes publics ? Notre niveau de détournement de fonds? Notre sécurité ? Notre sentiment d’être les détenteurs de ce pays ? Et je m’arrête là.
    Nous sommes dans le temps de la réflexion et sous peu de la proposition pour avoir des institutions qui éviteraient à l’avenir d’avoir un civil qui se comporte lui et sa famille comme les propriétaires du pays ! Des monarques de pacotille en somme…
    À la limite commençons à proposer des modèles institutionnels innovants, qui nous garantissent une démocratie pleine et entière au-delà des élections sincères.

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