De nombreux Africains empruntent des raccourcis intellectuels pour mieux justifier leur soutien à Vladimir Poutine. Leur attitude est inexplicable voire contreproductive.

Tant pis s’il fait taire toute voix dissidente, embastille les leaders de l’opposition et installe un régime de corruption, Vladimir Poutine est devenu, pour de nombreux Africains, le héraut de l’émancipation du continent. © Gabonreview

 

Panafricanisme, dignité de l’homme noir, luttes de libération : comme jamais auparavant, ces notions, causes et séquences historiques sont utilisées à tort et à travers. Suite à l’assaut des troupes russes contre l’Ukraine, de nombreux Africains y vont de leurs commentaires, empruntant des raccourcis intellectuels pour justifier leur soutien à Vladimir Poutine, devenu le héraut de l’émancipation du continent. Et tant pis si ce dernier a bel et bien déclenché une guerre à l’issue imprévisible ! Tant pis si, à la manière des anciennes puissances coloniales, il nie à un peuple le droit de tracer sa voie et de choisir ses alliances ! Tant pis si, à la manière des dictateurs tropicaux, l’homme est passé maître dans le trucage électoral et les tripatouillages constitutionnels ! Tant pis si, comme les potentats du contient, il n’envisage pas quitter le pouvoir, espérant y rester au bas mot jusqu’en 2036. Tant pis s’il fait taire toute voix dissidente, embastille les leaders de l’opposition et installe un régime de corruption symbolisé par les fameux oligarques !

Banalisation de la loi du plus fort

Loin de tout parti pris, l’attitude d’une bonne partie de l’opinion africaine est inexplicable voire contreproductive. Quelle différence entre « l’opération spéciale » de Poutine et « l’opération Harmattan » de Sarkozy contre la Libye ? Pourquoi soutenir l’une après avoir dénoncé l’autre ? Quelle différence entre les velléités expansionnistes dirigées contre l’Ukraine et celles dont l’Afrique a été la cible ?  Quelle différence entre les simulacres d’élections organisées en Russie et les vaudevilles électoraux tournés sous nos latitudes ? Comment fermer les yeux sur les conséquences du référendum constitutionnel russe de 2020 quand on s’oppose aux mandats présidentiels à vie ou à rallonges ? Comment s’accommoder de l’existence d’une oligarchie russe disséminée à travers l’Europe occidentale quand on demande à la justice française de faire toute la lumière dans l’affaire des Biens mal acquis ? Cherchez l’erreur…

Certes, les Africains sont héritiers d’une histoire de mépris, d’oppression et même de déshumanisation. Certes, les puissances occidentales ne sont pas exemptes de tout reproche : elles ont même une grande part de responsabilité dans la faillite du continent. Certes, elles ont trop souvent eu des comportements similaires, établissant une sorte de jurisprudence douteuse. Mais, on doit penser à l’Ukraine et aux Ukrainiens. On ne peut faire comme si leur sort importait peu. Sauf à militer pour un monde d’injustice où les faibles subissent le diktat des forts, on doit leur reconnaître le droit à l’autodétermination. A moins d’œuvrer au triomphe de l’arbitraire, on ne peut leur reprocher de résister. Au-delà, il faut envisager les conséquences d’une banalisation de la loi du plus fort. Mieux, il faut se demander si les combats pour la démocratie et l’État de droit feront encore sens dans un monde où toute puissance militaire pourra en imposer à ses voisins.

Une cause aux antipodes des nôtres

Comme les peuples africains, les Ukrainiens ne veulent servir de tête de pont à personne : ni aux États-Unis ni à la France ni au Royaume-Uni, encore moins à la Russie. Comme nous, ils veulent décider librement de leur destin. Leur demande d’adhésion à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) ? Comme l’appétence des pays africains pour la Chine, l’Inde ou le Commonwealth, il ne faut y voir une menace pour quiconque. Il faut plutôt y lire une volonté d’émancipation, la traduction d’une quête de mieux-être. Au-delà de sa dimension militaire, l’Otan porte un projet politico-économique. Y adhérer signifie accepter la démocratie libérale, c’est-à-dire un système politique garant des libertés individuelles, pluraliste et basé sur des élections libres et sincères, le tout assorti d’une économie régie par la loi du marché. Les peuples d’Afrique expriment-ils des demandes contraires ? S’il existera toujours des nuances, on peut répondre par la négative. En tout cas, leurs combats pour la démocratie, l’État de droit et la prospérité partagée le laissent croire.

Reste maintenant à comprendre ce soutien populaire à une cause aux antipodes des nôtres. Certains parlent d’un contrecoup à la politique hasardeuse conduite par la France depuis un maintenant 60 ans. D’autres évoquent un rejet de l’européocentrisme sur fond de lutte contre l’expansionnisme. Il s’en trouve pour rappeler les interventions militaires en Libye, en Côte d’Ivoire et même en Irak. Mais, que diraient ces «poutinophiles» si des puissances africaines comme le Nigeria, l’Éthiopie ou l’Angola décidaient d’envahir leurs voisins pour des «raisons de sécurité» ? Eu égard aux menaces générées par le précédent ukrainien, chacun gagnerait à contenir ses émotions. Le triomphe de la démocratie et de l’État de droit est aussi à ce prix.

 
GR
 

8 Commentaires

  1. Dikando dit :

    Je suis moi aussi épuisé par tous ces poutinophiles du continent africain et c’est vraiment très décevant concernant la qualité d’analyse des nôtres.
    Leur rejet des occidentaux leur fait perdre la raison !
    Poutine est dirigeant brutal avec son peuple et de surcroît très corrompu avec sa bande de copains d’enfance devenus milliardaires grâce à lui.
    Moi il me fait penser au petit dictateur Ali Bongo qui nous pille les comptes et enferme toute personne qui dit qu’il y a pillage!

  2. Empereur noir MOROCCO dit :

    @ Dikando

    Qui maltraite l’Afrique est-ce la RUSSIE ou la FRANCE, qui vole l’Uranium au Niger, qui vole l’Or du Mali, qui vole le Fer et le phosphate de la Mauritanie.
    Tu es comme les Harkis algériens qui ont massacré leurs propres frères pour la France, lorsqu’ils se sont enfuis en FRANCE ils sont traité des chiens galleux
    .Beaucoup d’africains suivaient des études de médecines en UKRAINE ces africains dont 11.000 marocains beaucoup ont étésviolé ou assassinés par des partis politiques ukrainiens de l’extrême droite et des NAZIS ukrainiens, ne jamais oublié que tout les officiers et sous officiers à AUSCHWITZ étaient des ukrainiens en 1940 à 1945,

    • Biswe dit :

      Vous n’avez rien compris du texte on dirait…non? Parce que je ne comprends pas ce que les ukrainiens devraient (payer) à la Russie, pour ce que la france fait (maltraitance) en Afrique…non? c’est débile…non?

  3. Fille dit :

    J’ai envie de dire : Mais de quoi on se mêle ?

    Vous avez raison Roxannne, mais visitez les accords d’Evian, le traité de Varsovie et revenez nous éclairer. Nous, les raccourcis nous sommes forts, cependant nous avons la chance d’avoir des têtes comme vous. Alors éclairez nous sur les véritables enjeux de cette guerre d’éléphants dont nous ne sommes que des fourmis y compris l’Ukraine. D’ailleurs, au passage relisons tous « Fourmis » de Weber pour comprendre que l’intelligence de la fourmi est au dessus de ceux qui ont pour force le piétinement des petits.

  4. SERGE MAKAYA dit :

    Je ne voulais pas répondre à cet article. Mais je vais quand même dire un mot : la colonisation n’aurait pas été MAUVAISE si ceux qui l’ont fait s’était comporté sans nous mépriser. Et jusqu’aujourd’hui, il y a toujours ce mépris des Africains par les français. Aucun pays d’Afrique n’a été colonisé par les Russes. Les coups d’Etat contre certains présidents africains au début des pseudos indépendances n’ont pas été montés par la Russie, mais bien par la France. Peut-être que la Russie aurait fait de même, peut-être… Ce qu’il faut savoir aussi, c’est que la Russie actuelle n’est pas celle du temps de l’URSS que j’ai bien connue pour y être envoyé au moins trois fois en mission. le racisme russe actuel est beaucoup plus accentué que celui du temps de l’URSS.

    On ne s’en sortira pas aussi, certainement, avec la Russie, si elle devait se substituer à la France en Afrique noire surtout (Gabon y compris). Mais les erreurs des autres peuvent aussi servir de leçons. Ne voyez pas forcément la Russie comme un pays qui ne serait pas différent de la France. Dans ma jeunesse, j’ai côtoyé quelques russes. Je n’ai pas ressenti en eux l’hypocrisie française. La mentalité russe est un peu comme celle des allemands : les russes ne tergiversent pas.

    Nous avons besoin, en Afrique, d’une puissance qui nous aide à nous développer tout en respectant nos cultures, nos traditions, notre race. Des qu’il y a MÉPRIS du peuple à qui une quelconque puissance apporte son « soutien », cette aide est très mal acceptée. Et dans ce cas, nous partageons la célèbre phrase de Sékou Touré qu’il adressait au raciste et hypocrite Général de Gaulle, je cite :  » Nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage ». Une puissance qui comprend ça saura gérer le peuple africain et gagnera même sa sympathie. Mais je peux vous le dire avec CERTITUDE : n’attendons JAMAIS cela des français.

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