Les deux derniers présidents de Cote d’Ivoire doivent aller au-delà des amabilités et bonnes intentions.

S’ils veulent éloigner le spectre d’une rechute, deux derniers présidents de Cote d’Ivoire doivent examiner les raisons du dérèglement de 2010-2011, donner des garanties de non-répétition et jeter les bases d’un véritable État de droit. © Facebook/AlassaneOuattara.prci

 

Tout le monde y voit un pas décisif vers la réconciliation nationale. Pour la première fois depuis 2010, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo se sont rencontrés. Le 27 du mois en cours, le président de Côte d’Ivoire a reçu son prédécesseur et ancien adversaire irréductible. Au terme de cette entrevue, les deux hommes ont fait assaut d’amabilités et de bonnes intentions. Volontiers badins, ils ont usé du tutoiement, jouant la carte de la familiarité et de la complicité. Conscients de leur responsabilité historique, ils ont évoqué le destin de leur pays et de leurs compatriotes, particulièrement les «prisonniers arrêtés au moment de la crise de 2010-2011.» N’empêche, ils doivent aller au-delà. Ils doivent penser aux victimes et à leurs familles. S’ils veulent éloigner le spectre d’une rechute, ils doivent examiner les raisons de ce dérèglement et donner des garanties de non-répétition. Pour ce faire, ils doivent jeter les bases d’un véritable État de droit.

Costume sur mesure

Sans jouer les rabat-joie, il faut rappeler quelques vérités historiques. Enclenché dès l’arrivée d’Alassane Ouattara au pouvoir, le processus de réconciliation nationale fit long feu. Alors dirigée par Charles Konan Banny, ancien Premier ministre, la Commission Dialogue-Vérité et Réconciliation (CDVR) rendit son rapport en 2014 sans créer les conditions du rétablissement de la «confiance.» Ni la Commission nationale de réconciliation et d’indemnisation des victimes (Conariv) ni la Chambre des rois et chefs traditionnels et, encore moins, le ministère de l’Indemnisation des victimes, ne parvinrent à remplir leurs objectifs. Pis, durant les 10 dernières années, les conflits fonciers et mutineries de soldats ont rythmé la vie politico-sociale ivoirienne. Déficit de méthode ? Absence de volonté politique ? On ne saurait trancher. Par contre, on est sûr d’une chose : les crispations actuelles soulignent les limites de la gouvernance de l’actuel président ivoirien.

Les révisions constitutionnelles de 2016 et 2020 n’ont nullement contribué à l’apaisement. Bien au contraire. Désireux de mettre un terme au débat sur l’«ivoirité», Alassane Ouattara s’attaqua aux conditions d’éligibilité, ouvrant aux citoyens nés «de père ou de mère ivoirien d’origine» la possibilité de faire acte de candidature à la présidence de la République. N’empêche, s’étant refusé à des discussions ouvertes et inclusives, ayant privilégié des travaux en petit comité, il laissa le sentiment de se tailler un costume sur mesure. Une impression confortée quatre années plus tard, à la faveur d’une refonte en profondeur de la Constitution. Plus marquant, après avoir juré ne pas vouloir aller au-delà de deux mandats, il fit une spectaculaire volte-face au lendemain du décès de son dauphin désigné, Amadou Gon Coulibaly. En créant les conditions d’une crise préélectorale, il vida la présidentielle d’octobre 2020 de tout sens. Depuis lors, les affrontements de 2010 hantent les esprits.

Vérité et justice

Même avec la foi du charbonnier, on ne peut se contenter de vagues promesses. Comme le relève Issiaka Diaby, président du Collectif des victimes de Côte d’Ivoire, «la réconciliation ne peut se résumer à la rencontre de deux citoyens.» Elle tient avant tout à deux notions : vérité et justice. Or, les faits n’ont jamais été documentés de manière transparente et indépendante, chaque camp y allant de sa version, au risque de sombrer dans le récentisme voire le révisionnisme. Si Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ont été acquittés par la Cour pénale internationale, Alassane Ouattara et ses proches n’ont jamais été invités à répondre de leurs actes. Idem pour Henri Konan Bédié et les siens. Quant à l’ancien président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, il coule ses vieux jours en… Côte d’Ivoire. Du coup, les victimes et leurs familles peinent à faire valoir leur droit aux réparations. Difficile, dans un tel contexte, d’adhérer aux réformes initiées de façon unilatérale.

Le 11 novembre 2020, Alassane Ouattara rencontrait Henri Konan Bédié. Huit mois plus tard, jour pour jour, le second recevait la visite de Laurent Gbagbo. Cette semaine, le même Laurent Gbagbo a devisé avec Alassane Ouattara. Au terme de ces tête-à-tête, chacun d’eux a longuement glosé sur le rétablissement de la confiance et la réconciliation nationale. Il leur reste maintenant à passer de la parole aux actes. En la matière, l’histoire fourmille d’exemples, nombreux. A l’analyse, un principe intangible émerge : la nécessité de se départir de toute arrière-pensée, récuser toute forme de ruse pour faire place à l’empathie et au réalisme. Autrement dit, les ennemis d’hier doivent faire la lumière sur les événements puis en conserver les preuves, battre publiquement leur coulpe, opérationnaliser le mécanisme d’indemnisation des victimes et, soumettre des réformes juridiques ou institutionnelles à l’appréciation du corps social. Les deux derniers présidents de Cote d’Ivoire doivent bien ça à leur pays et aux «prochaines générations

 
GR
 

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