S’il venait à faire l’impasse sur le destin du peuple tchadien, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA (CPS-UA) se rangerait du mauvais côté de l’histoire. Sa réunion en cours doit poser les bases d’une autre, élargie aux forces sociales tchadiennes, aux partenaires du G5-Sahel voire au Conseil de sécurité des Nations-Unies.

Le CPS-UA devrait dépasser les seuls enjeux sécuritaires sous-régionaux et rendre le Tchad aux Tchadiens. (Ici, le hall du siège de l’Union africaine, à Addis-Abeba, en 2016). © Pan Siwei/Xinhua-Rea

 

Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (CPS-UA) dos au mur. L’instance panafricaine ne fait face à aucun danger. Mais, elle doit agir. Elle peut choisir de se conformer ou de déroger à ses principes. Elle peut rejoindre la position de certains de ses membres, farouchement opposés à toute prise du pouvoir par les armes. Elle peut aussi décider d’accompagner le Conseil militaire de transition (CMT). Dans un cas comme dans l’autre, elle tranchera en connaissance de cause, sa mission d’enquête lui ayant rendu un rapport. A l’épreuve des faits, le CPS-UA est particulièrement attendu sur un point : sa capacité à permettre au peuple tchadien de reprendre en mains son destin. S’il venait à faire l’impasse sur impératif, il se rangerait du mauvais côté de l’histoire.

Un État failli

Selon le Protocole relatif à sa création, le CPS-UA partage un certain nombre de pouvoirs avec le président de la Commission. Il a notamment compétence pour «décider de sanctions chaque fois qu’un changement de gouvernement non conforme à la Constitution a lieu dans un pays». Il peut aussi «examiner et prendre des mesures (quand) l’indépendance nationale ou la souveraineté d’un État sont menacés par des actes d’agression, y compris par des mercenaires.» Il a, en outre, l’autorité nécessaire pour «suivre la promotion des pratiques démocratiques, la bonne gouvernance, l’État de droit, la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales». En clair, le CPS peut se prononcer sur la mise en place du CMT, les propositions formulées par le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), les exigences du collectif Wakit-Tama et la répression des manifestations pacifiques. Sur tous ces points, les résolutions de la réunion ouverte hier à Addis-Abeba sont très attendues.

On peut, certes, plaider pour un accompagnement du CMT en raison du rôle joué par l’armée tchadienne dans la lutte contre le terrorisme. Mais cela ne doit pas se faire au détriment du Tchad et de son peuple. Cela ne doit pas non plus constituer le prétexte à un blanc-seing au bénéfice d’une armée complice de la détérioration de la gouvernance et de la situation sécuritaire. Au demeurant, l’avènement du CMT est la consécration de liaisons incestueuses entre le pouvoir politique et l’armée. Elle est aussi l’aboutissement d’une gestion clanique, familiale et patrimoniale de la chose publique. Faut-il s’en accommoder ou le dénoncer ? Faut-il le cautionner ou y mettre un terme ? Pour l’heure, on rappellera cette règle de base : la prééminence de l’appareil sécuritaire dans la vie publique signale toujours la déliquescence de l’État. Le peuple tchadien peut-il se réaliser dans un État failli ?

Rendre le Tchad aux Tchadiens

Au nom d’un prétendu réalisme, certains appellent à la reconnaissance du CMT à deux conditions : limitation de la durée de la transition à 18 mois et, partage du pouvoir avec des civils au terme d’un «dialogue national inclusif». Seulement, personne n’a oublié comment Idriss Déby Itno est arrivé au pouvoir. Nul n’ignore comment il s’y est maintenu 30 années durant. Sauf à faire montre de mauvaise foi, tout le monde peut en convenir : aux plans politique, institutionnel, économique et social, il laisse un champ de ruines. Faut-il poursuivre sur cette voie ? Faut-il croire une garde prétorienne habitée par un sentiment d’impunité ? Faut-il écouter des militaires prêts à tirer sur des civils désarmés ?  Instruit par la répression des manifestations de ces derniers jours, le CPS-UA ne peut répondre par l’affirmative.

A vrai dire, le CPS-UA n’a pas les moyens de traiter de cette question. Il ne peut non plus offrir au peuple tchadien une perspective. Conformément à ses missions, il doit se contenter d’«examiner (…) des mesures (permettant de sauvegarder) l’indépendance nationale et la souveraineté» du Tchad, quitte à en appeler à l’ensemble des acteurs de terrain. Autrement dit, sa réunion en cours doit poser les bases d’une autre, élargie aux forces sociales tchadiennes, aux partenaires du G5-Sahel voire au Conseil de sécurité des Nations-unies. Dans des contextes différents mais pas forcément éloignés, d’autres pays ont été au centre de conférences internationales en vue de leur reconstruction. Pourquoi le Tchad ne bénéficierait pas d’une telle initiative ? A cette condition, le CMT pourrait être élargi à d’autres forces, y compris aux rebelles du FACT et à la société civile. Dépasser les seuls enjeux sécuritaires sous-régionaux et rendre le Tchad aux Tchadiens : telle doit être l’ambition du CPS-UA.

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GR
 

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