Trois mois après le coup d’État militaire au Gabon, de jeunes universitaires gabonais s’interrogent : le pays s’achemine-t-il vers un renouveau démocratique à la ghanéenne ou risque-t-il de retomber dans les travers du régime défunt ? Docteur en histoire contemporaine et Relations Internationales, Sosthène Bounda (Zangul) explore les nuances des coups d’État en Afrique, en s’appuyant sur des exemples tels que le Ghana de Jerry Rawlings et le Burkina Faso de Thomas Sankara, pour éclairer la situation actuelle au Gabon. Sa réflexion critique et constructive aborde la complexité des transitions politiques, tout en offrant une vision d’avenir fondée sur la vertu, la justice et le respect de la dignité humaine. Un regard sur les défis et les possibilités qui se dessinent pour le Gabon et l’Afrique dans son ensemble.

Dans son discours initial de prise de pouvoir, Oligui Nguema avait fait allusion, à juste titre, à Jerry Rawlings, militaire de formation ayant conduit le Ghana sur le chemin des pays de référence en matière de démocratie en Afrique. © GabonReview

 

Sosthène Bounda (Zangul), docteur en histoire contemporaine, Relations Internationales. © D.R.

Un petit tour d’horizon historique montre qu’en Afrique les coups d’État n’ont pas toujours été incompatibles avec l’essor d’un pays, surtout lorsqu’ils sont perpétrés avec de bonnes intentions et par des personnes disons plutôt vertueuses. Il n’est nullement question de faire ici l’apologie des coups d’État, mais force est de constater qu’une froide lecture de quelques faits historiques atteste qu’ils peuvent être considérés comme un mal nécessaire. Nous citerons, entre autres exemples, le Ghana de Jerry Rawlings, le Burkina Faso de Thomas Sankara ou encore le Mali d’Amani Toumani Touré, dans une moindre mesure. Toumani Touré, rappelons- le, avait pour surnom « le soldat de la démocratie » ! Les militaires avaient dans ces cas de bonnes raisons d’orchestrer un coup d’État. Il s’est souvent agi de mettre fin aux régimes corrompus et dictatoriaux. Ainsi dans notre occurrence, les Gabonais estiment-ils que le coup d’État du 30 aout 2023 ˗ qui est arrivé à point nommé ˗ a été perpétré pour de bonnes raisons puisqu’il a mis fin à une dictature semi-séculaire. C’est la raison pour laquelle certains disent qu’« il ne s’agit pas d’un coup d’État mais un coup de libération ».  Cela dit, il faudrait que prédomine la vertu dans l’exercice du pouvoir de la transition pour atteindre l’objectif escompté : la restauration des institutions.

Dans son discours initial de prise de pouvoir, le Général Brice Clotaire Oligui Nguema, après avoir donné les raisons qui avaient motivé ce coup de force, avait fait allusion, à juste titre, à Jerry Rawlings, militaire de formation qui avait conduit le Ghana sur le chemin des pays de référence en matière de démocratie en Afrique. J. Rawlings était lieutenant et pilote dans l’armée de l’air ghanéenne. En survolant certaines villes de son pays, il constata une trop grande disparité en termes de développement, et, en raison des potentialités de son pays, il avait estimé que la situation aurait dû être meilleure. C’est ainsi qu’il initia le coup d’État du 15 mai 1979, qui fut un échec. Rawlings fut condamné à mort. Mais la Providence l’avait choisi pour conduire à la destinée du Ghana. Trois mois plus tard, il fut libéré par ses collègues qui adhéraient à ses idées. Le 4 juin 1979, il organise un nouveau coup d’État et renverse Fred Akuffo.

À l’issue de ce nouveau coup de force, il cède le pouvoir à un gouvernement civil dirigé par Limann. Mais J. Rawlings avait remarqué quelque temps plus tard que ces dirigeants étaient toujours corrompus et ne faisaient guère plus d’efforts pour les populations défavorisées. C’est fort de ce constat qu’il organisa un nouveau coup d’État pour renverser le gouvernement de Limann, le 31 décembre 1981. Ainsi pour éviter des nouveaux travers, J. Rawlings devint-il lui-même président du Conseil Provisoire de la Défense Nationale, qui s’apparente aujourd’hui au Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI) au Gabon. Durant cette période transitoire qui va durer un an, il réorganise les institutions, finance les programmes sociaux, modernise la vie rurale. Au sortir de la période transitoire, il est naturellement élu président de la République le 7 décembre 1983. Il fonde une nouvelle République (la IVe République) ; une nouvelle constitution fait alors office de loi fondamentale.

Entre 1983 et 1993, Rawlings entreprend des réformes qui vont sortir le Ghana de la récession économique. Grâce à ses actions pour les plus démunis, mais aussi fort de son pacifisme et de ses positions dans le règlement de certaines crises comme au Libéria, Jerry Rawlings gagne en notoriété. Rawlings est donc réélu en décembre 1996. Malgré une forte opposition et une crise économique, sa notabilité était restée intacte auprès des classes populaires qui le surnommaient « Jesus Junior ». Soucieux du respect des textes en vigueur, après deux mandats, comme prévu par la constitution, J. Rawlings ne se représente pas. En revanche, il soutient la candidature du vice-Président de son parti, John Atta Mills qui va perdre les élections de 2000. C’est l’opposant John Kufuor qui sera élu. Mais après un passage dans l’opposition, le parti de Rawlings revient au pouvoir en 2008 à la faveur de l’élection d’Atta Mills. Aussi plusieurs observateurs s’accordent-ils à dire que l’alternance s’est faite de manière pacifique.

Tout cela n’aura été possible que parce que le but de Rawlings aura été de mettre en place des institutions fortes de telle sorte que « même si le diable venait à gouverner au Ghana, certaines procédures, certaines pratiques l’empêcheraient de faire ce qu’il veut », disait-il. Après son passage à la tête du pays, Jerry Rawlings a laissé une idéologie et un héritage démocratiques qui fondent des institutions fortes, faisant de lui l’un des anciens dirigeants les plus respectés au monde et un modèle pour les dirigeants de la transition au Gabon. Panafricain engagé, J. Rawlings était l’allié de Thomas Sankara, lequel a été malheureusement coupé dans son élan, mais son héritage en fait un héros national au Burkina Faso et dans toute l’Afrique. J. Rawlings était par ailleurs un adepte des théories de Kwamé Nkrumah sur l’unité africaine.

En décidant de ne pas entreprendre une chasse aux sorcières, malgré la volonté du peuple pour que soient traqués tous les indélicats de l’ancien régime, le Général Oligui Nguéma fait lui aussi montre d’une probable envie d’œuvrer à la fondation d’une nation juste. C’est donc sur cette voie que devrait cheminer celui qui s’est employé à citer J.Rawlings lors de son discours inaugural après sa prise de pouvoir au soir du 30 août dernier. On le voit ici, une telle ambition ne saurait prospérer sans que prédomine une haute idée de la gouvernance. Disons que, bien que fondée sur l’autorité, la gouvernance du Gabon par le CTRI ˗ fût -elle transitoire ˗ ne gagnerait rien à embrasser les sentiers sinueux de l’autoritarisme. En effet, même s’il s’agit d’un régime d’exception, il nous semble opportun de rappeler ici, tout naïvement, que l’idée d’autorité en elle-même est vertueuse en ce sens qu’elle suppose déjà la reconnaissance de son pouvoir. Autrement dit, la parole de celui qui fait preuve d’autorité suppose de facto l’idée d’une « obéissance » comprise et acceptée. Il est par conséquent toujours bon de gouverner par ce prisme-là plutôt que celui de l’autoritarisme : l’autorité supposant la reconnaissance de son pouvoir et l’autoritarisme étant systématiquement du côté de l’abus. C’est l’une des raisons pour lesquelles les derniers événements en date ne sauraient nous laisser indifférents.

De fait, l’interpellation des syndicalistes de la SEEG et le traitement qui leur a été réservé par les services de la Direction générale des Contre-Ingérences et de la Sécurité militaire (B2) sont des signaux inquiétants tant ils détonnent avec la volonté du CTRI de travailler à la réconciliation du peuple gabonais avec sa classe dirigeante. Pour ne pas donner l’impression aux Gabonais d’avoir déshabiller Pierre pour habiller Paul ˗ avec ce retour du même˗, il est plus qu’impératif de s’attacher aux notions de vertu, de respect de la dignité humaine, d’équité et de justice.

Par Sosthène Bounda (Zangul), docteur en histoire contemporaine, Relations Internationales

 
GR
 

1 Commentaire

  1. Lecoco dit :

    J’ai lu le texte, mais il n y a aucun extrait du discours inaugural où le PT Oligui fait mention de JJ RAWLINGS. Par contre, il est rappelé à 3 réprises dans l article du discours inaugural aux références « rawlingsiennes ». Aussi, les detailles et les dates du régime de RAWLINGS sont floues, difficilement comprehensible, 1983-1993 à quoi correspond cette période? L’élection du 7 Décembre 1983 a t elle été pluraliste?
    Enfin, à la lecture du titre de l’article, il est difficile d’identifier les les similitudes sachant l’un était un Jeune officier piloted et l’autre un officier général des salons feutrés? Le général a plutot une vision deGaulienne que Rawlingsienne ou Sankariste. Les perspectives, peut être qu il y a une suite du texte à publier.

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