Quatre ans après l’adoption de l’ordonnance sur les partenariats public-privé pour la réalisation de certains grands chantiers d’infrastructures économiques et sociales, le Gabon n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière. Juriste d’affaires internationales, Crépin Aboghe Biteghe estime même que le pays a accusé un énorme retard ayant impacté jusqu’à son développement. Expert du domaine, le jeune Gabonais relève dans cette tribune quelques manquements à l’origine de ce retard, non sans proposer des pistes de solution.  

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Par Crépin Aboghe Biteghe, Juriste d’Affaires Internationales, Spécialiste des PPP, Expert Consultant, Chargé de Projets de PPP au Cabinet IP3-Conseil (Dakar/Sénégal). © Photo personnelle

Le Gabon a accusé un retard important dans la réalisation des infrastructures économiques et sociales qui impulseraient son développement. Pour essayer de rattraper ce retard, en cette rude période marquée par des contraintes de ressources publiques, il aura besoin de financements additionnels innovants, tant le binôme vicieux d’aide-crédit a jusque-là montré ses limites. C’est dans ce défi que les Partenariats Public-Privé (PPP) apparaissent comme une alternative crédible pour le financement des politiques publiques au Gabon.

La notion de PPP fait référence à une relation dans laquelle, la personne publique et la personne privée, désormais partenaires, s’associent dans une mission de longue durée, pour concevoir, financer, construire, et/ou exploiter, entretenir, et/ou maintenir un ouvrage public ou un équipement public, assurant ou contribuant à assurer un service public. Cette association à risques équitablement partagés est organisée dans un cadre contractuel ou construit dans un cadre institutionnel à capital mixte.

Les PPP sont donc un des mécanismes efficaces à la disposition des autorités publiques pour l’accroissement des infrastructures, l’efficacité et l’efficience des services publics. Cependant, il est curieux de constater que le Gabon est à la traîne, tant il peine à saisir les opportunités offertes par les PPP. Ce n’est donc pas les PPP en eux-mêmes qui sont en cause, car les résultats dans d’autres pays sont probants, mais plutôt leur compréhension, leur adoption et leur mise en œuvre au Gabon qui sont sujettes à caution.

Dans cette veine, convient-il de se demander, 4 ans après l’entrée en vigueur de l’ordonnance 009/PR/2015 du 11 février 2016 sur les contrats de PPP, pourquoi le terrain des PPP est-il toujours aussi vierge ? Autrement dit, pourquoi les PPP n’ont-ils toujours pas reçu un écho favorable auprès des acteurs censés être impliqués dans le processus de mise en œuvre ? Qui est-ce qui explique l’inexistence d’un projet pilote à ce jour ?

Après un état des lieux réalisé par nos soins, nous relèverons dans la présente note, un cadre juridique substantiellement incomplet (1), un dispositif institutionnel inadapté à la réussite des PPP (2), un manque criard de ressources humaines (3).

  1. Un cadre juridique substantiellement incomplet

Prima Facie, il faut se mettre à l’esprit que les PPP ne sont pas une panacée, c’est-à-dire, une solution miracle dont on se contenterait d’appliquer pour aboutir au développement, c’est d’ailleurs pourquoi, leur recours doit répondre aux critères d’urgence, de complexité du projet et davantage comparatif. En gros, les PPP doivent faire l’objet d’une évaluation préalable, qui devrait déterminer l’opportunité ou non de leur recours.  Ainsi donc, la réussite d’un PPP est tributaire d’un certain nombre de facteurs, parmi lesquels, un cadre juridique solide et adapté. Or, au Gabon, le cadre juridique des PPP brille par son incomplétude.

En effet, après une première ordonnance en 2015 frappée de caducité pour défaut de ratification, le président de la République est revenu à la charge avec l’ordonnance de 2016 citée supra. Malgré cela, le texte est demeuré inapplicable. À partir de 2018, trois décrets d’application sont rentrés en vigueur à savoir :

Le décret 000154/PR/MPIPCI du 18 mai 2018 fixant les procédures de passation des contrats PPP ; le décret 000155/PR/MPIPPP du 18 mai 2018 portant attributions, organisation et fonctionnement de l’organe de pilotage des PPP ; le décret 000156/PR/MPIPPP du 18 mai 2018 portant attributions, organisation et fonctionnement de l’organe d’évaluation des offres relatives aux PPP.

À ce jour, seulement ces trois textes d’application et avec eux, l’ordonnance de 2016 sur les PPP constituent le corpus juridique des PPP au Gabon.

En plus des formes de PPP, l’ordonnance prévoit aussi en son article 6, un cadre institutionnel des PPP, composé de l’organe de pilotage, de l’organe d’évaluation des offres, l’organe de régulation et l’organe de contrôle. À ce jour, les textes sur l’organe de régulation et de contrôle des PPP sont toujours attendus. D’autres textes non moins importants sont aussi absents, notamment ceux relatifs aux cellules sectorielles et à la cellule de promotion des PPP. Ces organes ne sont jusque-là pas opérationnels, alors qu’ils sont censés jouer un rôle central dans le développement et la réussite des PPP. Sans oublier certaines dispositions relatives à l’évaluation préalable et celles relatives à la procédure devant l’organe de régulation.

Enfin, le droit des PPP au Gabon étonne en ce qu’il ne porte que sur une seule famille des PPP, à savoir : les PPP à paiement public. Ainsi donc, en l’état actuel de la législation des PPP au Gabon, il est impossible de conclure un contrat sous forme de DSP. Sans qu’il soit besoin d’évoquer les incohérences relevées dans lesdits textes, le dispositif institutionnel mérite une attention.

  1. Un dispositif institutionnel inadapté à la réussite des PPP

Le dispositif institutionnel des PPP au Gabon est constitué de l’Organe de Pilotage, l’Organe d’Évaluation des Offres, l’Organe de Contrôle et l’Organe de Régulation.

Sur l’Organe de Pilotage

Il est chargé :

– de l’identification des projets de PPP ;

– de la programmation des projets ;

– de la promotion des PPP ;

– de la supervision des contrats de PPP.

Il comprend :

– la Commission d’Orientation (C-O) ;

– l’Unité d’Appui aux PPP (UA-PPP) ;

– Les Cellules Sectorielles des PPP (CS-PPP) ;

– La Cellule de Promotion des PPP (CP-PPP)

Sur l’Organe d’Évaluation des Offres

Il est chargé :

– de réceptionner les offres des soumissionnaires ;

– d’analyser les offres des soumissionnaires ;

– de désigner l’adjudicataire du contrat ;

– de préparer les contrats de partenariat.

Il comprend :

– la Commission d’Évaluation des Offres (CEO) ;

– l’Unité d’Appui au PPP (UA-PPP)

Avec cette configuration, il est clair qu’il y’a un potentiel conflit d’intérêts inhérent lorsque la même entité est responsable de toutes les missions principales liées à la conduite des PPP. Les tensions peuvent ainsi surgir de l’incitation des équipes de promotion des PPP à développer un maximum de projets, ce qui peut altérer le processus nécessaire de rejet des projets qui ne garantissent pas une optimisation des ressources pour l’État.

Dans la pratique des PPP aussi, le cadre institutionnel dispose d’un organe central chargé de l’assistance technique aux autorités contractantes appelé Unité PPP. Au Gabon, ce qui est considéré comme Unité PPP est un sous-organe de l’Organe de Pilotage des PPP. À lecture des décrets sur l’Organe de Pilotage et celui sur les modes de passation des contrats PPP, on se rend compte que non seulement, l’Organe de Pilotage est omniprésent, mais aussi, l’UA-PPP qui est un de ses sous-organes, contrôle d’autres sous-organes et empiète même dans les domaines de ceux-ci. Cette situation crée une lourdeur et une incohérence institutionnelle, susceptible de bloquer le processus des PPP.

Enfin, les Unités PPP fonctionnent mieux quand elles disposent des pouvoirs exécutifs du point de vue de leur ancrage institutionnel. Dans la pratique, elles sont rattachées à des ministères ou institutions clés. Or au Gabon, l’Unité PPP est rattachée au Ministère de la Promotion des Investissements, ses pouvoirs sont donc amoindris dans ses rapports avec d’autres ministères sectoriels. Cela a pour conséquence principale, sa non-légitimation en dépit des prérogatives et missions qui sont les siennes.

  1. Un manque criard de ressources humaines

Il convient de relever l’amalgame qui est entretenu sur la notion de PPP au Gabon. Il est vrai que la notion est nouvelle, et regorge d’une certaine esthétique à la prononciation. De fait, les politiques n’hésitent pas à la brandir à la moindre occasion, le PPP devient une sorte de fonds de commerce politique, visant à montrer que ceux qui l’emploient s’arriment aux standards du moment, qu’ils sont en phase avec l’évolution et l’innovation de la gestion publique.

Toutefois, un PPP est obligatoirement une collaboration entre une personne publique et une personne privée, mais toutes collaborations entre le public et le privé n’est pas nécessairement une entente PPP. Il est opportun de rappeler que les PPP sont des contrats complexes de longue durée et emportant un partage équitable des risques inhérent au projet entre les parties. Ce ne sont pas des contrats neutres comme les simples marchés publics. Leur réussite passe inexorablement par la qualité managériale dont ils doivent faire l’objet en amont. Cela nécessite donc de disposer en interne, d’une équipe dédiée qui permettrait d’appréhender tous les aspects du projet et maîtriser les fondamentaux des PPP et le suivi du cycle de vie du projet.

Or au Gabon, il n’existe quasiment pas au sein de l’administration actuellement un spécialiste/expert en PPP. Mais plus grave encore, il n’y a actuellement qu’un seul individu au sein de l’Organe de Pilotage, qui n’est rien d’autre que le coordonnateur de l’UA-PPP, alors qu’une Unité PPP requiert pour son fonctionnement, une équipe pluridisciplinaire, des experts dans des domaines variés. D’ailleurs, le décret sur l’organe de pilotage prévoit que l’UA-PPP est composée à titre permanent d’experts dans les domaines du droit, économie, gestion, finance, environnement, génie civil, électromécanique, électrotechnique, etc. !

Au regard de toutes ces insuffisances, le domaine des PPP au Gabon ne saurait décoller, les PPP, au lieu de favoriser l’optimisation des ressources, risquent de contribuer fortement à l’endettement public. Les autorités compétentes devraient sérieusement se pencher sur ces questions cruciales, baliser l’environnement des PPP avant de s’y lancer.

Par Crépin Aboghe Biteghe, Juriste d’Affaires Internationales, Spécialiste des PPP, Expert Consultant, Chargé de Projets de PPP au Cabinet IP3-Conseil (Dakar/Sénégal).

 

 
GR
 

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