Pour Christian Emane Nna, spécialiste en management des politiques publiques et Secrétaire Général  du think tank Pour le Gabon, « l’Etat est le premier malade du Gabon. Il est déclaré positif à la défaillance et à la déliquescence ». Dans cette tribune libre, il fait le lien entre « la gouvernance hasardeuse de ces 10 dernières années » et « l’inopérante des mesures proposées » dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19.  Il relève « l’incongruité », du déconfiniment et constate « qu’en l’absence de toutes les données nécessaires à la formulation, la planification et l’exécution d’une action publique efficace, l’improvisation semble être la boussole et la démarche préférentielle de ceux qui sont à la tête de l’Etat ».

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Christian Emane Nna, spécialiste en management des politiques publiques et secrétaire général du think tank « Pour le Gabon ». © D.R.

Le 8 mars 2020, le Gabon a enregistré son premier cas positif au COVID-19. L’Etat a réagi en commençant par la fermeture des frontières puis en organisant la riposte pour limiter les effets de la crise sanitaire dans le pays. Au regard de l’évolution de la situation, ces dispositions ont montré leur inadéquation avec nos réalités. En effet, en conséquence de la gouvernance hasardeuse de ces 10 dernières années, l’inopérance des mesures proposées est une évidence. Face à cette incurie qui a plongé les populations dans le plus grand désarroi et pour tenter de reprendre la main, ceux qui dirigent notre pays ont présenté au gabonais le déconfiniment, qui apparait comme un aveu d’échec.

A la surprise générale, quelques jours à peine après avoir sollicité du parlement la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et au moment où nous nous rapprochons du pic de propagation du Covid-19, l’exécutif, dans un élan d’incongruité, a décidé le déconfiniment partiel à Libreville et ses environs. Déconfiner au moment où le niveau de propagation de la maladie est en phase « ascendante » et va atteindre son plus haut niveau, relève assurément du suicide collectif.

Ceux qui dirigent le Gabon, face à leurs limites et à leur incapacité à mettre en œuvre les mesures d’accompagnement qu’ils ont eux-mêmes annoncées, ont dû se résoudre à l’indécence d’un arbitrage entre crise sanitaire et crise alimentaire, entre l’irresponsabilité et l’absurdité. Ils ont dans tous les cas, fait le choix d’exposer les gabonais au danger avec pour seul objectif égoïste et cynique de sauver leur pouvoir.

Depuis le 25 avril 2020, nous sommes dans la deuxième phase de l’état d’urgence sanitaire, la première ayant été décrétée 14 jours plus tôt. A la date du 28 avril 2020, notre pays compte désormais 238 cas positifs et 3 décès déclarés suite au Covid-19. Les pouvoirs publics ont prouvé leur incapacité à apporter des réponses efficaces, permettant de faire face aux enjeux de cette pandémie. Nous constatons avec regret, qu’au-delà des simples déclarations, il n’existe aucune cohérence entre le contexte et les objectifs, encore moins une planification stratégique, ni une organisation opérationnelle adaptées pour factualiser les mesures annoncées face cette crise sanitaire et ses conséquences.

L’échec était programmé, le Gabon ne disposant d’aucun outil statistique ou prévisionnel fiable et d’aucune organisation urbaine formelle, permettant une assistance efficiente aux populations. Nous ne disposons pas de marge de manœuvre budgétaire pour faire face à la crise sanitaire, et encore moins, pour soutenir l’économie. L’indépendance alimentaire, clamée à tout va, qui aurait permis à notre pays de répondre à la limitation des importations et à la pénurie internationale, relève des promesses non tenues. Les politiques sociale et sanitaire qui devraient protéger nos compatriotes, sont totalement déficientes. En somme, l’Etat ne dispose d’aucune organisation systémique et structurelle, lui permettant d’optimiser ses interventions en agissant au plus près des réalités socioéconomiques. De toute évidence, l’Etat est le premier malade du Gabon. Il est déclaré positif à la défaillance et à la déliquescence.

En l’absence de toutes les données nécessaires à la formulation, la planification et l’exécution d’une action publique efficace, l’improvisation semble être la boussole et la démarche préférentielle de ceux qui sont à la tête de l’Etat. En dehors des forces de défense, de sécurité et des services de renseignement, dont le déploiement sert essentiellement aux opérations de restriction des libertés et d’atteintes aux droits individuels, nous ne disposons d’aucun service public, qui soit prompt à faire face à la crise dans le cadre de ses missions.

Cette crise est multiforme, elle est systémique, transversale et remet en cause les fondements de notre modèle de gouvernance. La réponse du pays exige la contribution de tous les services de l’Etat et des collectivités locales, mais leur inertie sonne comme un aveu d’inefficacité et de gabegie.  

A l’instar des autres pays du monde, le Gabon a déclaré la « Guerre sanitaire » contre le Covid-19 mais l’interrogation demeure sur la force de frappe de nos principales « bases » sanitaires. Nos hôpitaux, pompeusement et honteusement baptisés Centres Hospitaliers Universitaires (CHU), construits à coup de milliards de FCFA et vantés comme des outils de dernière génération, sont déjà inopérants en situation normale et le sont davantage en temps de crise.

Dans ce contexte de crise, les annonces de « riposte » formulées par les pouvoirs publics, n’inspirent aucune confiance à nos compatriotes. S’agissant notamment des lits, des appareils respiratoires et du matériel sanitaire, aucun inventaire n’a permis d’évaluer nos capacités et nos besoins, en rapport avec les évolutions anticipées de la propagation de du virus. A ce jour, aucune précision n’est faite sur le nombre de personnel mobilisé, la cartographie de leur déploiement, les équipements de protection mis à leur disposition ni sur l’effectivité des 60 centres de dépistage massif annoncés. D’autre part, l’Office Pharmaceutique National (OPN), l’opérateur public de distribution des médicaments et de matériel médical, Pharmagabon et Copharga, les deux principaux distributeurs privés de médicaments au Gabon, sont absents du dispositif de lutte contre le Covid-19. Aucune mission spécifique ne leur a été assignée. Aucune dotation budgétaire spéciale ne leur a été allouée pour garantir l’approvisionnement du pays en produits de santé, face à la concurrence de la demande mondiale et les priorités d’autosuffisance des pays fabricants.

Un autre volet important, qui permet de mesurer le niveau de cynisme et d’inconséquence de ceux qui dirigent le Gabon, est l’absence de protocole d’inhumation des personnes décédées du Covid-19.  Les images auxquelles nous avons eu droit, lors de l’enterrement du docteur Tanguy de Dieu Tchantchou sont insoutenables. Ce brillant médecin est mort au combat et dans l’exercice de ses fonctions pour sauver des vies. Il mérite notre respect et les honneurs de la nation, mais l’Etat aux abois, sans direction ni directives, lui a réservé comme seul traitement, le mépris et l’indifférence.

Nous devons à la vérité de reconnaitre qu’en matière d’action publique, l’Etat est clairement démissionnaire. Les agences et tous les opérateurs publics, créés au détriment des services des ministères, présentés comme des fleurons de « l’émergence » du Gabon et qui étaient supposés faciliter la mise en œuvre de l’action de l’Etat, s’avèrent totalement inexistants face aux conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire.

Si l’Agence Nationale d’Urbanisme, des Travaux Topographiques et du Cadastre (ANUTTC) remplissait ses missions, sa contribution sur plan cadastrale, aurait facilité le déploiement dans la mise en œuvre des mesures sociales, par exemple, en termes de paiement des loyers et de distribution de l’aide alimentaire. Malheureusement, l’Etat ne sait pas optimiser l’utilisation de ses ressources et de ses services.

Sur le plan alimentaire justement, c’est le spectre des émeutes de la faim qui a conduit les pouvoirs publics à prendre la décision inique de procéder au déconfiniment, en dépit des prévisions sanitaires défavorables. Résolument, le grand retour à la terre, annoncé avec trompettes et sirènes, à la faveur du « PROJET GRAINES », qui devait nous aider à rattraper notre retard en matière d’autosuffisance alimentaire et limiter notre dépendance aux importations, est un échec cuisant.

L’Agence Nationale de l’Informatique, du Numérique et des Fréquences (ANINF),  présentée avec vanité comme l’architecte de la numérisation du Gabon, est complètement inexistante au moment ou nous devons réduire le volume horaire de nos activités en présentiel et privilégier le télétravail. Durant cette période de crise sanitaire et de confinement, le numérique est devenu le principal levier de l’activité économique, sociale et pédagogique dans le monde. Au Gabon, l’ANINF n’a apporté aucune solution face à cette exigence.

Le Conseil National de l’Eau et de l’Electricité (CNEE) et la Société du Patrimoine du Service public sont inertes, alors qu’ils devraient être en première ligne en appui à la SEEG, pour apporter des solutions en matière d’eau et d’électricité aux gabonais. La gratuité de l’eau pour les plus fragiles, demeure une promesse irréalisable, du fait de l’indisponibilité de cette ressource pourtant essentielle et vitale pour l’ensemble de nos compatriotes. Pour rappel, en février  2019, le Gabon avait bénéficié d’un appui financier de 77 milliards de FCFA, de la part de la Banque Africaine de Développement pour la réhabilitation de 300 km de conduites du réseau d’eau potable. Cette enveloppe semble s’être volatilisée.

Concernant la gratuité de l’électricité, elle exige que les « Gabonais Economiquement Faibles » disposent préalablement d’une connexion internet, ce qui n’est le pas le cas, et qu’ils suivent un protocole via une application numérique qui fonctionne malheureusement par intermittence.

A ce jour, sur le plan social, concernant la Banque alimentaire et la distribution des Kits, la désorganisation a contribué à semer la confusion, à participer à l’humiliation des gabonais et à l’injustice, au lieu de faciliter l’assistance à nos compatriotes les plus fragiles. Pire, elle favorise la création d’attroupements, de foyers de propagation du virus et les tensions sociales, plutôt que de limiter les risques sanitaires. Dans le même temps, nous observons avec regret, une profusion de postures d’autopromotion et de propagande, qui traduisent les velléités et l’indécence de leurs auteurs.

Au sujet de la gratuité des loyers des « Gabonais Economiquement Faibles », les fichiers de la CNAMGS, de la CNSS, de la Direction des pensions du Trésor public et de la Direction Générale des affaires sociales, ne semblent pas avoir été croisés ni mis à jour pour les besoins de la cause. D’autre part, le guichet unique créé sous la tutelle du Ministère de l’Economie, pour l’identification et l’enregistrement des « petits » bailleurs, a fermé ses portes dès le lendemain de son ouverture, créant la colère et la détresse, de ceux dont les loyers sont les seuls revenus de subsistance.

Sur le financement du plan de riposte, le Fonds Gabonais d’Investissements Stratégiques (FGIS) dont  le Directeur Général a été demis de ses fonctions et remplacé, il y a quelques jours, est lui aussi totalement inerte dans un contexte hautement stratégique pour le pays. La Caisse des Dépôts et des Consignations (CDC) qui sert de banque à l’Etat, quant à elle, limite désormais son rôle à la réception des dons et à la domiciliation du Fonds de solidarité contre le Covid-19.  Ces deux organismes financiers de l’Etat, qui apparaissaient, il y a encore quelques mois, comme des puissants outils de financement de l’action publique, semblent désormais en faillite.

Au registre des engagements budgétaires, l’enveloppe globale du plan de riposte, selon les prévisions et les estimations des pouvoirs publics, est de 250 milliards de FCFA, dont 225 milliards, hypothétiquement financés par les banques sous forme de crédits aux Petites et Moyennes Entreprises (PME). Cela est donc très aléatoire, voir illusoire, parce que soumis aux convenances et aux conditions fixées par ces établissements financiers.  In fine, l’effort de l’Etat, dans le contexte de crise sanitaire, ne représenterait que 25 milliards de FCFA, soit, 10% des besoins de financement. Ce niveau d’engagement est extrêmement dérisoire au regard des enjeux et des attentes des populations. En la matière, notre pays se distingue à l’échelle du monde, comme un des plus mauvais exemples. Sans risque de se tromper, on peut parler d’une exception gabonaise.

En outre, au titre des grandes reformes ratées et des échecs de la transformation du Gabon, il est certain que la diversification économique est manifestement une grande utopie. Sa concrétisation, aurait permis dans la situation actuelle, que le pays soit en autosuffisance alimentaire. Elle aurait aidé à vulgariser l’accès à l’internet, à faciliter le télétravail ou encore la continuité pédagogique avec l’école à distance. Elle aurait contribué à réduire le secteur informel, en favorisant l’accompagnement des très petites entreprises auprès des banques, à créer les emplois, à les maintenir et à préserver les revenus. Elle nous aurait évité ce déconfiniment de tous les dangers, qui ne repose que sur la décrépitude de l’Etat et sur l’unique volonté de ceux qui le dirigent  de se maintenir au pouvoir au péril de la vie des gabonais.

Malheureusement pour les gabonais, le bilan est accablant. Le Gabon est à la dérive et la mauvaise gouvernance est la principale raison de nos déboires. Nous payons les errements et les promesses non tenues depuis dix ans. Par conséquent, ceux qui sont aux commandes de l’Etat, doivent tirer les leçons de ce qui apparait, à l’évidence, comme de l’irresponsabilité et qui fait courir des risques majeurs à notre pays. Il est clairement établi que leurs choix sont hasardeux et qu’ils ne sont pas à la hauteur des exigences des gabonais. Ils sont invités à faire preuve d’humilité et de sincérité. Ils sont exhortés, pour  nous éviter la déferlante et le désastre qui se profilent, à présenter à l’opinion nationale la réalité de la situation actuelle du Gabon, et à revoir leur posture confiscatoire de la gestion de notre pays.

Christian Emane Nna

Secrétaire Général de Pour le Gabon

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GR
 

7 Commentaires

  1. Gabon sans corruption dit :

    « PROJET GRAINES »

    Le Président de la République tel un visionnaire avait pourtant eu une excellente idée en lançant le PROGRAMME GRAINE afin que le Gabon obtienne son indépendance alimentaire. Mais enfin, Qu’est ce qui s’est réellement passé? Pourquoi ne pas scanner la gestion de ce programme par l’Opération scorpion? A qui a-t-il réellement profité, sachant que dans notre pays le conflit d’intérêt a toujours été à l’origine de l’échec de la majorité des programmes et projets initiés par l’Etat.

    • Giap Effayong dit :

      Le »PROJET GRAINE » n’a pas donné les résultats escomptés pour une raison simple:Ali Bongo n’a jamais été élu par le peuple gabonais.Il ne faut donc pas s’étonner des déboires qui jonchent son parcours présidentiel.Heureusement,aujourd’hui il n’est plus que l’ombre de lui-même,un zombi.Dieu merci.

  2. JAMES DE MAKOKOU dit :

    NO COMMENT !

    SUPER ARTICLE ET TOUT EST DIT ICI

  3. Messir NNAH NDONG dit :

    Au regard du contenu de cette tribune, une chose est visible, comme l nez sur le visage, c’est que notre pays le Gabon est dirigé par une GANG d’incompetents immatures et inconscients, qui gerent notre pays au paroxysme de ma bêtise.

    Nous avons la lourde responsabilité de les dégager du pouvoir…

    En tout cas, belle tribune, BRAVOOO!!!!!

  4. Lafleur dit :

    Un tableau peint avec courage et objectivité du Gabon actuel.
    Le pays va mal dans tous les domaines, et la crise sanitaire due à la propagation du coronavirus démontre clairement l’incapacité des pouvoirs publics à faire face. On note pour cela un paradoxe, on déconfine partiellement le Grand Libreville alors que les cas testés positifs au covid-19 ne cesse d’augmenter. Or, on devait parler aujourd’hui du confinement total plus qu’hier où les cas testés positifs étaient moindre.
    Les lendemains de cette crise s’avèrent très compliqués et pour l’État et pour les populations.

    • Paul Bismuth dit :

      L’État dès le départ n’avait pas les moyens de faire du confinement total. Il aurait dû songer dès le commencement à la meilleure stratégie possible à l’aune de ses capacités financières. Le confinement total suggère un État providence suffisamment puissant. En temps normal, celui-ci est déjà très limité au Gabon ; le constat est aggravé en cette période de difficultés économiques accentuées surtout que les personnes devant renflouer ses caisses sont confinées. La crise sanitaire a entraîné une baisse drastique de la production du fait du confinement des agents économiques. Et s’il n’y a plus (ou moins) d’activités économiques, il y a nécéssairement moins de recettes pour l’ État. Notre pays n’a malheureusement pas les moyens de donner du pain à tout le monde. Regardez ces émeutes de la faim éclatées dans certains quartiers. Certains pays, par exemple la Corée du Sud (il est vrai qu’ils ont des outils statistiques et des moyens de tracking de la population qu’on ne possède pas) ou la Suède, n’ont simplement pas fait de confinement ou n’ont fait qu’un confinement partiel. Dans notre cas, la stratégie d’un confinement partiel était la plus adaptée. Mais cela, naturellement, suggère que des garanties soient données, plus encore, à ceux qui doivent faire survivre la société et l’économie. Cela veut donc dire qu’il ne doit y avoir aucune inflexion au niveau de la sensibilisation aux gestes barrières ; les sanctions afférentes doivent être appliquées ; une distribution massive de masques et de solutions desinfectantes doit être faite. L’État se doit de concilier l’impératif de santé public et la sauvegarde de l’économie qui participent tous les deux de l’intérêt général. Et il ne peut le raire, à mon sens, qu’en appliquant ce confinement partiel accompagné de garanties. Mais il va sans dire que lorsqu’on a appliqué un confinement total et qu’on deconfine alors qu’on approche du pic de la contamination, on n’a aucune crédibilité.

  5. asphalt dit :

    Très belle analyse.puissent-ils lire et comprendre le français qui est écris là.Juste parce qu’ils craignent une crise sociale, ils préfèrent envoyer les gens à l’abbatoir en déconfinant le grand Libreville parce que ce que moi je vois dehors là porte le nom de confinement partiel juste parce qu’on rentre dans nos maisons à 18h c’est tous.

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