Consécutif au Conseil des ministres du 9 avril dernier, l’affectation de Jules Djeki, précédemment gouverneur de la province de l’Ogooué-Ivindo, dans le Woleu-Ntem où il prend les mêmes charges, est l’occasion pour Flavien Enongoué, universitaire et ambassadeur du Gabon en France, de louer le «sens de L’État» du concerné, cette attitude bien difficile comportant «trois écueils» à éviter, notamment dans le contexte particulier de l’Ogooué-Ivindo.

En médaillon : Jules Djeki, actuel gouverneur du Woleu-Ntem, précédemment gouverneur de la province de l’Ogooué-Ivindo. © Gabonreview/Shutterstock

 

Flavien Enongoué, Maître-Assistant de Philosophie politique à l’Université Omar Bongo, Ambassadeur Haut Représentant du Gabon en France, Représentant permanent à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). © Droits réservés

« Notre Gouverneur s’en va ! » C’est par ce message laconique que, depuis Makokou, un membre de la famille m’invitait – une émoticône à l’appui – à prendre connaissance du communiqué final du Conseil des ministres du jeudi 9 avril 2020, en particulier le titre relatif aux mesures individuelles. A la lecture, je réaliserai, en effet, qu’il parlait de la mutation du Gouverneur Jules Djeki chez le voisin du Nord. Depuis lors, je sais que cette exclamation spontanée traduisait, en réalité, un sentiment largement partagé de ses administrés dont je fais partie, bien qu’ayant ma résidence principale à Libreville et étant, depuis bientôt trois ans, en mission de représentation à l’étranger. C’est donc à ce titre d’administré que je me permets de prendre la parole pour lui dire publiquement merci, en particulier d’avoir, quatre années durant (2016-2020), incarné localement le visage reluisant du « sens de l’Etat ».

Quiconque aura été en position de commandement et de représentation du Président de République, Chef de l’Etat ainsi que du Gouvernement, à un échelon donné de l’administration – c’est notamment le cas du Gouverneur de province –, sait combien la réalisation de la mission est un « baptême de tous les jours » ; conséquemment, la hantise permanente de poser un acte susceptible de démériter ou trahir la confiance des hautes autorités.

En allant, début 2016, dans l’Ogooué-Ivindo comme Gouverneur, le Pr Jules Djeki en était conscient. Non pas que les états de service précédents lui faisaient défaut ; au contraire, sa longue expérience administrative parlait pour lui. Il venait de passer cinq ans (2011-2016) au Cabinet du Président Ali Bongo Ondimba, en qualité de Conseiller Spécial, Chef de Département, en charge notamment de l’Urbanisme, puis de la Forêt et de l’Agriculture. Après avoir été, successivement, Chef de Service de la scolarité de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines (1987-1989), Assesseur de ladite Faculté (1989-1990), Secrétaire Général Adjoint de l’Université Omar Bongo (1990-1995) et Doyen de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines (2007-2009). J’ai eu l’opportunité de le rencontrer à certaines étapes de cette riche carrière administrative : d’abord comme étudiant de philosophie, au début des années 90, puis enseignant-chercheur au département de philosophie, enfin collègue à la Présidence de la République. J’en ai gardé le meilleur souvenir, notamment de précieux conseils d’aîné et diverses sollicitations de son expertise de cartographe. C’est donc peu dire que j’étais ravi de sa venue en Ogooué-Ivindo, où il n’avait jamais mis pied auparavant.

Seulement, à cette fonction – et je ne lui avais jamais dit mot, par respect –, la seule technicité administrative ne suffit pas pour trouver place dans le cœur des Ogivins. Par le long vécu dans la localité, il m’avait été en effet donné de constater la nécessité vitale d’éviter au moins trois écueils : i.) le mépris social, qui puise dans un imaginaire collectif national traversé par des préjugés, notamment ethniques, et qui a fait croire à certains que, là-bas, servir était synonyme de sévir ; ii.) l’implication dans l’économie souterraine (trafic d’ivoire, de pierres précieuses ou de bois divers), qui coûta à d’autres toute considération ; iii) l’immersion intéressée dans les rivalités du « landerneau » politique local. A ma connaissance – il a sans doute, comme chacun de nous, des défauts –, « notre Gouverneur » a su éviter ces écueils, en inscrivant matinalement son action dans le double registre de la proximité, pour la méthode, c’est-à-dire la disponibilité permanente à écouter les administrés sans céder au piège de la familiarité, et dans « le sens de l’Etat », pour la ligne directrice.

Sous cette dernière expression, il faut entendre le fait que ceux qui sont dépositaires de l’autorité d’assurer les charges administratives ont l’obligation de s’en acquitter en dehors ou compte non tenu des considérations partisanes, parce que libres d’attaches particularisantes négatives ; leurs compétences les destinant à l’exercice desdites fonctions administratives, que le philosophe allemand Georg Wilhelm Friedrich Hegel qualifiait d’objectives. Ce dernier soulignait par ailleurs la nécessité pour l’Etat de les recruter dans la classe moyenne, « où se trouve l’intelligence cultivée et la conscience juridique de la masse d’un peuple ». Pour le dire dans la langue de notre époque, accessible au grand public, il s’agit d’exiger des commis de l’Etat : compétence, dévouement et loyauté. Habités donc du sens de l’Etat, ils trouveront généralement grâce auprès de la majorité de leurs administrés. D’où le pincement au cœur de voir « notre Gouverneur », Pr Jules Djeki, aller ailleurs. Mais c’est aussi – et heureusement – une bonne pratique en la matière : la mobilité vertueuse des élites. Que les forces de l’Esprit l’accompagnent.

Flavien ENONGOUE, Maître-Assistant de Philosophie politique à l’Université Omar Bongo, Ambassadeur Haut Représentant du Gabon en France, Représentant permanent à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

 

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GR
 

1 Commentaire

  1. Michel Ndong Esso dit :

    Cette plume n’a rien perdu de sa clarté. Cette aptitude à dire les choses avec mesure me rappelle mes années universitaires au Département de philosophie de l’UOB où je vous ai eu comme Directeur de mémoire. J’ai lu avec plaisir et surtout nostalgie.

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