Dans la tribune ci-après, Judicaël Kou-Vassa, juriste, expert junior confirmé en Marchés publics et en partenariats public-privés (PPP) exerçant au Sénégal, s’intéresse aux commandes de l’État gabonais qui, selon lui, nécessitent au préalable une planification garantissant leur légalité et celle des autorités contractantes, dans un souci d’organisation et de bonne gouvernance.

Le bâtiment abritant la direction générale des Marchés publics, à Libreville. © Gabonreview

 

Judicaël Kou-Vassa, juriste, expert junior confirmé en Marchés publics et en partenariats public-privés (PPP). © D.R.

Dans un contexte caractérisé par l’idée de rationalisation des choix budgétaires, il apparaît nécessaire d’insister sur le fait que bien acheter ne doit plus se limiter au seul respect des contraintes du Code des Marchés Publics. Bien acheter suppose, désormais une utilisation intelligente des différents outils que ce texte propose afin d’aboutir à une satisfaction optimale des besoins publics.

Ainsi, dans le souci de satisfaire, au mieux, un besoin d’intérêt général, les marchés que les collectivités publiques gabonaises passent au cours d’une année déterminée doivent s’inscrire dans un plan de passation des marchés (PPM) bien précis et doivent faire l’objet de publicité par l’Administration compétente en charge du contrôle a priori. C’est donc une étape importante pour la passation des marchés des autorités contractantes gabonaises dans la mesure où le Décret n°00027/PR/MEPPDD du 17 janvier 2018 portant code des marchés publics au Gabon en fait une condition de légalité de la procédure expressément formulée en son article 46.

Cependant, il nous a été donné de constater que dans la pratique cette obligation règlementaire d’établissement du plan de passation des marchés et de publication de celui-ci est difficilement mise en œuvre. Or il n’est pas superflu de dire que le respect de l’obligation de publication des PPM pourrait garantir que les règles décrites et annoncées dans ces documents seront, effectivement, respectées lors du lancement des procédures.

C’est pourquoi, à l’approche de la prochaine année budgétaire, il nous est apparu nécessaire dans le cadre de la présente note d’analyse de rappeler aux pouvoirs publics gabonais comment cette obligation participe à la rationalisation des dépenses publiques. Les lignes qui suivent seront donc consacrées, à l’examen de la signification de cette notion de planification (1), à l’appréciation de la portée du document de planification (2), et enfin à l’appréciation de l’intérêt de sa publication par l’organe compétent (3), afin de mesurer sa volonté de renforcement du principe de transparence appliqué à la phase de préparation des marchés publics.

Signification concrète de cette notion de planification

Selon le dictionnaire Larousse, la planification est un «processus qui fixe, après études et réflexion prospective, les objectifs à atteindre, les moyens nécessaires, les étapes de réalisation et les méthodes de suivi de celle-ci»

Appliquée au droit et à la pratique des marchés publics, elle suppose au préalable, une certaine anticipation censée permettre à l’acheteur public de savoir avec précision, ce dont il a besoin au regard des objectifs qu’il s’est fixés. Et dans le but d’assurer, non seulement, un bon approvisionnement des services administratifs, mais, aussi, une correcte utilisation des deniers publics et une saine concurrence entre les opérateurs économiques intéressés.

C’est sans doute dans ce cadre que l’alinéa premier de l’article 46 du code des marchés publics susvisé dispose clairement que «L’Autorité Contractante est tenue d’élaborer son plan de passation des marchés publics». Qu’il s’en infère donc que l’élaboration dans les conditions requises d’un plan de passation des marchés est une formalité substantielle qui s’impose à toutes les autorités contractantes gabonaises visées à l’article 3 du code des marchés publics.

La portée du plan de passation des marchés (PPM).

Disons que les marchés publics sont articulés autour d’un certain nombre de principes régissant toutes les étapes, allant de la préparation du marché à son exécution. Il s’agit notamment, des principes de l’économie et l’efficacité du processus d’acquisition, d’égalité et de libre et large concurrence et de la transparence des processus tel que précisé à l’article 5 du code des marchés publics.

La prise en compte de ces principes se traduit, dans cette étape de la procédure, par l’existence d’un document de planification et plus simplement du plan de passation des marchés (PPM). À ce sujet, il apparaît que cette exigence vise à garantir le respect du principe de transparence. Celui-ci est, à son tour, de nature à garantir l’effectivité des autres principes. En effet, à partir du moment où le Plan de Passation des Marchés qui est le document de planification par excellence a pour vocation de contenir tous les éléments des marchés à passer et de les porter à la connaissance des intéressés, l’on peut conclure que l’idée de transparence occupe, à beaucoup d’égards, une place de choix.

C’est pourquoi, conscientes du rôle stratégique de ce principe dans la gestion des deniers publics, les instances communautaires ont jugé pertinent de lui consacrer un texte spécial à travers la Directive communautaire nº 06/11-UEAC-190-CM-22 du 19 décembre 2011 relative au Code de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques au sein de la CEMAC ; que les États membres ont l’obligation de transposer dans leur ordonnancement juridique interne. C’est le cas notamment au Gabon avec l’avènement de la Loi nº 021/2014 du 30 janvier 2015 relative à la transparence et à la bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques.

Il y est clairement mentionné au niveau de l’article 5 de ladite Loi que « les règles applicables aux marchés publics et aux délégations de service public doivent être conformes à la présente loi ». C’est ainsi dire au sens de cette loi que si aucune dépense publique ne peut être engagée et payée si elle n’est préalablement définie dans un texte législatif ou règlementaire et autorisée par une loi de finances, de même, aucun achat public ne peut être effectué, s’il n’est préalablement inscrit sur un plan de passation des marchés, et soumis à l’existence de crédits budgétaires suffisants conformément à l’article 51 du Code des marchés publics.

Il s’agit donc, à travers ces documents, d’exprimer une volonté générale de favoriser la traçabilité de la dépense publique et de lutter contre l’opacité dans la gestion des deniers publics. Ainsi, comme l’affirme Philippe Moreau DEFARGES, « si tout est public, les mauvaises pensées, les manipulations seront neutralisées, dissoutes par la lumière de l’honnêteté, car le caché est considéré comme l’un de ces résidus maléfiques dont l’homme doit se débarrasser ».

Si l’on revient au domaine des marchés publics, il faut souligner que le PPM a pour fonction, d’une part de programmer les achats publics afin d’éviter le pilotage à vue, et d’autre part d’informer, c’est-à-dire, de mettre à la disposition de tous les acteurs et observateurs de la commande publique gabonaise, des informations utiles. La transparence est, alors, largement tributaire de l’information. De ce fait, grâce au PPM, les candidats sont régulièrement informés de toutes les opportunités d’affaires offertes par l’administration gabonaise. Ils connaissent, en amont, les besoins exprimés par celle-ci, ainsi que les voies et moyens qu’elle compte mettre en œuvre, en termes de procédures et de ressources pour les satisfaire. Ces informations reçues, à temps, sont de nature à permettre à ces candidats de se préparer en conséquence. Il apparaît clairement que c’est en cela que cette exigence de transparence permet de garantir le respect des principes de liberté et d’égalité devant les marchés publics.

Aussi, au-delà des candidats, il faut dire que les PPM des autorités contractantes gabonaises intéressent les citoyens ainsi que les partenaires au développement, soucieux du bon usage des fonds qu’ils mettent, souvent, à la disposition de ces autorités contractantes. 

À l’endroit des citoyens, l’exigence de bonne gouvernance confère au contribuable le droit légitime de savoir l’utilisation qui est faite des ressources publiques qu’il a mises à la disposition de la puissance publique. Ainsi, un examen rapide des différents PPM leur permet de connaître les principales acquisitions des autorités contractantes gabonaises ainsi que leurs montants et les modalités de passation des marchés prévus. Du côté des partenaires au développement, il convient de préciser que de nos jours, ils s’accordent à n’apporter leurs concours qu’aux États qui ont, au préalable, élaboré et mis en application des règles transparentes de passation et d’exécution des marchés publics.

L’intérêt de la publication du plan de passation des marchés (PPM)

Les dispositions combinées des articles 46 al. 4 du Code des marchés publics et 3 du Décret nº 00027/PR/MEF du 18 mars 2020 portant création, attribution et organisation de la DGMP indiquent que ces différents plans de passation des marchés doivent être transmis à la Direction Générale des Marchés Publics. Celle-ci procède à l’appréciation de leur conformité avant de les publier sur le portail des marchés publics. À côté de ce support numérique, le droit gabonais prévoit leur publication dans le Journal des Marchés Publics. Cette publication permet d’apprécier la pertinence des choix et priorités de tel ou tel ministère, de les comparer avec les attentes des citoyens. De permettre à ceux-là de se prononcer en conséquence, sur la gestion administrative et la prise en compte de leurs préoccupations.

De plus, dans sa logique générale de rationalisation des délais procéduraux, l’article 46 al. 4 et l’article 3 des textes évoqués ci-dessus précisent que, les autorités contractantes gabonaises doivent communiquer leur PPM à la DGMP « au plus tard, deux semaines après le vote de la loi de finances », de l’année précédant l’année budgétaire considérée. L’idée est de veiller à une meilleure articulation entre l’exécution du budget et celle des PPM. Celle-ci dispose d’un délai de dix (10) jours pour examiner et publier après validation, l’ensemble des PPM reçus. Ce délai qui nous semble largement raisonnable au regard du nombre de PPM à valider et à publier.

In fine, il nous est permis de dire qu’une lecture, même, superficielle de l’article 46 du code des marchés publics du Gabon et de l’article 3 du Décret nº 00027/PR/MEF du 18 mars 2020 pourrait faire apparaître que l’élaboration et la publication du PPM, constituent une obligation, expressément, formulée et imposée à toutes les autorités contractantes gabonaises. Cette obligation est annuelle à l’image de celle qui pèse sur l’État concernant les lois de finances. Celle-ci constitue, on le sait, la traduction financière des PPM. En effet, si la loi de finances contient les crédits budgétaires, il faut noter que la justification de leur inscription se trouve dans les différents PPM. Cette obligation d’établissement des PPM est renforcée par la précision du moment pendant lequel ces documents doivent être élaborés et publiés.

 
GR
 

1 Commentaire

  1. Paul Bismuth dit :

    Très instructif. Merci.

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