Diversement appréciées, les récentes nominations sèment des doutes quant à l’attachement aux valeurs éthiques et morales.

S’il peut être compris comme un refus de tâtonner ou une volonté de se saisir des mécanismes institutionnels, le recyclage des anciens collaborateurs d’Ali Bongo peut aussi être interprété comme la traduction d’une certaine continuité. © GabonReview

 

Depuis quelques jours, le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) place ses hommes. Après les membres de la Cour constitutionnelle, ceux du cabinet de son président, il a désigné un nouveau Premier ministre. Diversement appréciées, ces nominations laissent transparaître une tendance : le recyclage du personnel politico-administratif de l’ère Ali Bongo.  De Christian Bignoumba Fernandez à Raymond Ndong Sima en passant par Guy Rossatanga-Rignault, de nombreux promus ont servi sous le président déchu. Si nombre d’entre eux ont connu la déchéance, d’autres ont été de toutes les époques, y compris de ces «cinq années d’absence» de toutes les transgressions. Sont-ils des «gens expérimentés et des personnes à la compétence avérée» ? Leur promotion résulte-t-elle des «consultations (menées) avec toutes les forces vives de la nation» ? Est-ce le gage d’une «gouvernance assainie, plus en phase avec les normes internationales» ? Voire…

Responsabilité engagée

S’il peut être compris comme un refus de tâtonner ou une volonté de se saisir des mécanismes institutionnels, ce recours aux anciens collaborateurs d’Ali Bongo peut aussi être interprété comme la traduction d’une certaine continuité. Au-delà, il peut être lu comme l’absolution des fautes du passé. Après tout, la Cour constitutionnelle a validé tous les tripatouillages juridiques ayant conduit à ces élections générales aux «résultats tronqués» puis annulés. Elle a entériné tous les bidouillages constitutionnels ayant accouché de cette «gouvernance irresponsable, imprévisible qui [s’est traduite] par une dégradation continue de la cohésion sociale». Quant au Premier ministre de transition, il a naguère soutenu la politique de tittytainment impulsée par Ali Bongo. Il s’est jadis accommodé de l’affaiblissement de l’administration au bénéfice des fameuses agences. Pour toutes ces raisons, la responsabilité des nouveaux promus est, à des degrés divers, engagée dans «la grave crise institutionnelle, politique, économique et sociale» dénoncée par le CTRI.

Certes, la Cour constitutionnelle s’est toujours présentée comme une juridiction collégiale. Ses membres n’ont eu de cesse de revendiquer une solidarité à toute épreuve. Certes, le Premier ministre de transition avait pris ses distances avec Ali Bongo en juillet 2015, dénonçant sa gestion des finances publiques et son allergie à la critique. Mais on ne saurait occulter la vérité historique : au plus fort de la polémique sur la multiplication des établissements publics et du rattachement de certaines d’entre elles à la présidence de la République, comme durant les quatre dernières révisions constitutionnelles, la plupart des nouveaux promus étaient, à un moment ou à un autre, ou aux avant-postes ou dans un rôle de souffleur. Sauf à méconnaître ou à minimiser leur implication dans les dérives du passé, on les imagine mal conduire la restauration des institutions. A moins de croire en leur capacité à reprogrammer leur logiciel, on ne les voit mal inspirer des réformes alignées sur les standards internationaux. Du coup, des doutes se font jour et des espoirs partent en fumée.

Garder à l’esprit deux impératifs

Pour conduire des réformes de fond, les connaissances sont une condition nécessaire. Mais, elles sont loin d’être suffisantes. S’il faut faire montre de technicité, il faut tout autant avoir de la méthode et songer à sa mémoire. Autrement dit, il faut avoir du savoir, du savoir-faire et du savoir-être. Or, dans un passé pas si lointain, de nombreux promus ont rusé avec tous les principes pour faire passer ou justifier des lois et décisions injustes. D’autres ont agi comme s’ils ne souciaient guère de l’avenir, comme si seul l’intérêt du moment guidait leur action. On les a vu expliquer et valider la modification de la Constitution par une Assemblée nationale au mandat échu mais prorogé. On les a entendu soutenir le transfert des pouvoirs de l’Assemblée nationale au Sénat, curieusement érigé en Parlement monocaméral. On les a même surpris en train de se réjouir des hold-up électoraux de 2009 et 2016, se risquant à en minimiser le bilan humain. S’il ne remet nullement en cause leur bagage technique, ce cynisme politicien ne rassure pas quant à leur attachement aux valeurs éthiques et morales.

S’il veut entretenir la flamme de l’espérance, le CTRI doit garder à l’esprit deux impératifs au moment de coopter les élites : rompre avec les années Ali Bongo et rapprocher les gouvernants des gouvernés. Comme on peut le lire sur les réseaux sociaux, les Gabonais ont soupé de cette nomenklatura arrogante apparue avec le président déchu. Ils veulent voir de «nouvelles têtes». Ils espèrent donner une chance à des personnalités engagées, ayant porté les revendications citoyennes tout au long des 14 dernières années. Sans faire de chasse aux sorcières, le CTRI aurait peut-être à gagner à l’entendre et y donner suite.

 
GR
 

11 Commentaires

  1. Serge Makaya dit :

    Roxanne Bouenguidi, je vais demander à mon fils Brice Clotaire Oligui Nguema de te nommer ministre de la communication. On verra un peu comment tu vas procéder dans ton travail. D’accord ma fille ?

  2. Dikando dit :

    Très belle tribune et je le redits ça me gêne de voir des Guy Rossataga ou Arnaud Engadji symboles des années arrogance d’Ali Bongo réintégrer aussi facilement les sphères dirigeantes du pays…
    Attention CTRI il y a des personnes qui incarnent les années Ali Bongo dont il faut savoir se passer.
    La gestion d’Arnaud Engadji à la GOC est pleine de zones d’ombres. C’est ce qui est ressorti au moment du procès des BLA boys.
    Rossatanga lui était le juriste de l’état de non-droit…
    Vite un autre Doliprane pour calmer ce mal de tête que commence à me donner le CTRI sur ces nominations.

  3. Azert dit :

    Pour aller vite il faut des gens qui connaissent déjà les dossiers

    • Serge Makaya dit :

      Merci mon fils ou petit fils Azert. Tu connais peut-être comment fonctionne les RENSEIGNEMENTS ? Laissons ceux qui veulent jacasser le faire. Nous, nous avançons comme nous l’entendons. A Ntare Nzame.

    • Yann Lévy Boussougou-Bouassa dit :

      « Festina lente », disait un général romain. On le traduit par « hâte toi lentement » ou de manière plus extensive par « les choses bien faites le sont avec le temps qu’il faut. » Il ne s’agit donc pas de se presser au risque de prendre des décisions à la portée mal jugée, il s’agit de faire les choses bien.

      Pour ma part je partage les doutes exprimés par Roxane Bouenguidi et par d’autres compatriotes. Mais je me dis également qu’on peut espérer que le nouveau contexte conduise ces «nouveaux serviteurs » à prendre plus au sérieux leur ministère. Et si le canidé pouvait changer sa manière de s’asseoir ? Quoi qu’il en soit, il faut garder l’œil ouvert.

  4. Giovanni Michael dit :

    Je crois qu’elle fait son travail comme il faut avec l’esprit critique. Elle demande oas a etre nommé. Faisons avancer ce pays poussons pour voir les limites de ce nouveau regime.bravo pour l’article.

  5. Maganga Octave dit :

    Et Ndong Sima ? Après le coup d’état electoral de 2009, il est devenu ministre, sans état d’âme, marchant sur le vote et la vie des Gabonais. Après l’élection de 2016 et l’attaque du QG de Ping, il est allé à l’investiture d’Ali Bongo, lui apportant sa caution et montrant bien que les morts enregistrés ne lui disaient rien du tout… Je crois qu’on peut trouver moins cynique, moins opportuniste et moins égoïste que ce type

  6. Gabon d'abord dit :

    Il faudrait que les personnes qui viennent ne soient pas totalement nouveau de ca systeme. Tous ces hommes aureient pu produire de mailleurs resultats si ils etaient dans un bon systeme avec une gouverance solide…pour le moment il prefere travailler avec ceux dont il a la maitrise, les dossiers « casseroles »,….Dans un moment aussi sensible attendons 4/5 mois….Si c’est avere que tout cela est un ecran de fumee, le peuple reagira cette fois tres vite et il peut bloquer le pays….sauf si ils rentrent dans u ne dictature, Ce que je ne crois pas personellement

  7. De Kermadec dit :

    Une question sur un sujet important: Est-il normal qu’une personne tienne le perchoir d’une haute institution 31 ans? Je veux parler du Conseil Constitutionnel. Dans quel pays voit-on cela? J’aimerai bien que l’on m’explique Pour moi, la seule explication est que la détentrice du perchoir faisait partie de la famille BONGO, dévouée corps et âme contre tout vent, quitte à vendre son âme au diable. Heureusement que tout à une fin.

  8. DesireNGUEMANZONG dit :

    Bonsoir Mme Roxanne BOUENGUIDI,

    Omar Bongo Ondimba (OBO ci-après) disait que « je préfère l’injustice au désordre ». Le PDG a crée les deux : l’injustice et le désordre. OBO est aussi l’auteur de cette bravade: « je préfère la révolution à la rébellion. Car la révolution tue les principes et la rébellion tue des gens ».

    La CTRI nous a épargné un bain de sang en créant une « Révolution » qui a tué les principes mortifères du PDG. Dans sa stratégie du maintien au pouvoir, le PDG prévoyait régner sur un tas de cadavres. L’idée de « casser des oeufs pour faire une omelette » a été imaginée avec un cynisme paradoxal.

    Aujourd’hui, il est question de « dépédégiser » le pays (la société gabonaise) par des réformes profondes qui seront accompagnées par des femmes et des hommes compétent(e)s ayant une culture de la transparence, de la rigueur et de l’efficacité. Toutefois, il faut que la Transition (ces composantes) soit à l’image de toute la nation gabonaise. Même avec les transfuges du PDG. Ce choix est discutable! J’aurai aimé séparer « le bon grain de l’ivraie ».

    D’aucuns disent que le « vin est tiré » et se demandent « comment ils vont le boire ». C’est trop tôt de le dire. Car un cépage (pour des vins effervescents) est récolté lorsqu’il a un degré suffisant d’alcool. Cela suppose qu’il à maturité. Il est ensuite macéré dans des réceptacles pour donner un vin bourru. Puis transférer dans des fûts pour y être élevé. Ce n’est qu’au bout de 9 mois qu’il est mis en bouteille. Il faut attendre au moins deux ans pour que les arômes de ce raisin s’expriment en bouche. Ce gouvernement de la Transition nous met « l’eau à la bouche ».

    La CTRI aura un bilan à faire à court terme. Dans deux ans. A moyen terme (dans cinq ans), on pourra en tirer des conclusions sur la valeur ajoutée de leurs réformes institutionnelles fondées sur les principes cités plus haut.

    En conclusion, retenir que « tout vient à point à celui qui sait attendre ».

    Cordialement.

  9. CYR Moundounga dit :

    Bjr. En effet, l’attachement aux valeurs d’éthiques et de morales ne s’aurait s’accommoder d’une gestion quinquagénaire du pays ayant dénigré la dignité du Gabonais. Cette dignité tant dénoncée par les « patrons » actuels de Gabao. Réitérant à chaque fois la discipline qui caractérise l’armée, les nouvelles autorités n’ont eu de cesse de justifier leur prise du pouvoir par la nécessaire justice et je cite « le gabonais souffre ».

    Or, malheureusement ou heureusement ce sont des hommes et des femmes qui étaient à la manœuvre de cette clochardisation ». Nous sommes environ 2M d’habitants avec un taux de scolarisation de près de 80%, cela signifie que le ratio moyen des intelligences par secteur d’activités existe. Autrement dit, le renouvellement des élites est tellement possible qu’il est inadmissible de donner un titre foncier à x ou y.

    Chers amis du CTRI le pouvoir à ceci de particulier (surtout lorsqu’il se situe dans la correction ou la volonté de rupture) qu’il peut conduire à l’effet inverse du fait de la reconduction des mêmes personnes. la sociologie gabonaise s’accommode très mal de la punition de celui qui vous donne quelque chose même moindre. Autrement dit, si nous ratons cette occasion unique de faire table rase du passé ce sera un moindre mal pour les gabonais de se souvenir de leur bienfaiteur d’avant. Amen.

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