Manganèse : Eramet face au sursaut gabonais

À la suite de l’interview de Christel Bories sur Ecorama, où la présidente d’Eramet questionne la faisabilité de la transformation locale du manganèse au Gabon, le syndicat STRIMM oppose une réplique ferme, accusant le groupe français de perpétuer un modèle extractif révolu. Entre arguments économiques, revendications souverainistes et arbitrages techniques, ce différend révèle bien plus qu’un désaccord ponctuel : il cristallise la tension entre rentabilité industrielle et réappropriation politique des ressources.

Pour Christel Bories, sans énergie verte et bon marché, transformer au Gabon revient à se tirer une balle dans le pied. © GabonReview (capture d’écran)
La décision de Libreville d’interdire l’exportation de manganèse brut à compter du 1ᵉʳ janvier 2029 fait vaciller les équilibres d’un partenariat trentenaire entre le Gabon et Eramet. D’un côté, Christel Bories brandit les limites industrielles et énergétiques du pays ; de l’autre, le Syndicat des Travailleurs des Industries Minières et Métallurgiques (STRIMM) oppose l’exigence d’une montée en gamme nationale. Au-delà du dialogue musclé, quels arbitrages techniques, financiers et politiques se dessinent ?
La lecture d’Eramet : un réalisme des coûts érigé en dogme
Sur le plateau d’Ecorama le 16 juin, Christel Bories a déroulé l’argumentaire d’un industriel aguerri. Transformer in situ tout le manganèse de Moanda reviendrait, dit-elle, à «mettre deux fois la capacité de transformation de l’Europe au Gabon». Le diagnostic est brutal : infrastructures insuffisantes, hydrologie limitée, coût de l’énergie prohibitif. À l’appui, la patronne rappelle que la filiale locale verse déjà dividendes, taxes et emplois, et que l’État gabonais détient 30 % du capital. Toucher à cet équilibre, serait risqué pour le Gabon. Comme se lavant les mains d’un rêve jugé trop grand pour ses hôtes, la présidente du conseil d’administration d’Eramet conclu : «Je pense que le Gabon lui-même n’a pas intérêt à se tirer une balle dans le pied.»
Pour Eramet, la rentabilité ne se négocie pas : sans électricité abondante, bon marché et décarbonée, la filière aval serait un puits sans fond.
La riposte du STRIMM : souveraineté et capture de valeur
En réaction de quoi, le Syndicat des Travailleurs des Industries Minières et Métallurgiques abat une autre carte : celle de la légitimité politique. Dans une lettre au vitriol, Joscelain Lebama dénonce «un ton condescendant» et fustige «une logique dépassée qui nie aux pays producteurs leur droit légitime à la valeur ajoutée». Pour le STRIMM, la décision du 30 mai 2025 d’interdire l’exportation de minerai brut à partir de 2029 est irrévocable ; elle vise la montée en compétences nationales, l’emploi local et la souveraineté économique voulue par le président Oligui Nguema.
Le syndicat agite une double menace : d’une part, l’appel d’air pour des opérateurs asiatiques ou africains «disposés à bâtir un avenir commun» ; d’autre part, la paralysie sociale si Eramet persiste à défendre un statu quo extractif. À ses yeux, l’heure n’est plus aux concessions exploitantes mais au «développement partagé».
Trois nœuds techniques structurent le débat : l’approvisionnement énergétique, le rythme de mise en œuvre et le schéma de financement. Si le discours d’Eramet reste prudent, certains observateurs industriels estiment qu’un point d’équilibre pourrait émerger à travers une montée en charge progressive : par exemple, initier dès 2029 la transformation locale d’un premier quota de 20 à 30 % du minerai extrait, avant d’atteindre une pleine valorisation en aval à l’horizon 2035. Une trajectoire de ce type, bien qu’aucunement évoquée formellement par Christel Bories, permettrait de concilier ambitions souveraines et contraintes opérationnelles.
Quant au financement d’une filière métallurgique gabonaise, il pourrait – sous réserve d’un environnement fiscal incitatif, d’un cadre de gouvernance robuste et de garanties sur le coût de l’énergie – intéresser des partenaires institutionnels tels que la Banque africaine de développement (BAD), la SFI (groupe Banque mondiale) ou la Banque européenne d’investissement. Là encore, il ne s’agit pas de plans en discussion mais de configurations théoriques régulièrement évoquées dans d’autres contextes africains similaires.
Un test géopolitique à haute tension
L’issue du dossier gabonais pèsera bien au-delà des frontières d’Afrique centrale. Le manganèse de haute pureté est stratégique pour les batteries LFP dominées par la Chine. Une bascule des volumes vers Pékin accroîtrait la dépendance de l’Europe, déjà en quête d’alternatives sûres. Eramet conserve la maîtrise technologique amont, Libreville tient le gisement, et les travailleurs entendent capter la valeur ajoutée : trois intérêts à marier plutôt qu’à opposer.
Le bras de fer révèle une nouvelle donne : dans la chaîne des métaux critiques, la rentabilité financière ne suffit plus à sceller un accord. Elle doit désormais composer avec l’exigence politique et sociale des pays détenteurs de ressources. Au Gabon, la conversation s’est déplacée – du «combien ça coûte» au «combien reste au pays». Reste à savoir si Eramet saura passer du rôle d’exploitant à celui de co-architecte d’une filière intégrée. Faute d’entente, la carte des alliances pourrait rapidement se redessiner et rebattre les positions acquises depuis trente ans.

9 Commentaires
On nage vraiment dans l’air du populisme. Je ne sais pas qui conseille le PR mais sa déclaration c’est un peu la charrue avant les bœufs.
Pour raffiner toute la production de manganaise, il faut:
1-Des hommes bien formés et en quantité.
2- De l’énergie, beaucoup d’énergie. Comment va t’ont avoir autant d’énergies quand on a du mal déjà à satisfaire aux besoins de la population ?
3-Il faut construire des usines, suivant le volume à traiter, ces édifices peuvent mettre du temps à voir le jour, entre les études, la recherche de financement et la construction en elle même.
4-La logistique. Le rail et le port seront-ils prêts?
Ne reproduisons pas les événements des casses des maisons derrière l’assemblée. On casse d’abord après on met en place des commissions.
La première richesse d’un pays, d’une entreprise, est sa ressource humaine. Oligui Nguema a fixé un cap et les compatriotes qui y souscrivent doivent s’atteler à œuvrer à la réalisation de l’objectif recherché. Revenir sur le discours de dame Bories dont le contenu ne surprend guère , n’y contribue pas beaucoup.
Que doit-on faire pour sortir du statuquo dans lequel est englué le pays depuis des lustres….
Les pays des ports européens qui transforment le manganèse importé du Gabon n’en sont pas producteurs. Pour ériger ces usines qui ne sont pas une manifestation spontanée, la famille Duval majoritaire dans le groupe devenu ERAMET a travaillé et réfléchi sans tenir compte du destin du Gabon comme un pays qui peut se projeter au déjà du carcan dans lequel il est enfermé comme un simple producteur exportateur de matière première
Retenons que le premier consommateur des alliages sortis des usines européennes est connu. c’est la deuxième économie du monde, la première en réalité, en ce qu’entre autres, elle finance la dette intérieure des États-Unis.
En 3 ou 4 ans, le potentiel hydrologique national peut permettre l’érection d’un ou deux barrages hydroélectriques dans un premier temps, en capacité de soutenir les besoins de consommation en énergie électrique verte d’une usine de transformation de manganèse en alliages consommés par l’industrie métallurgique en Asie, Amérique,
Le volet acheminement ou transport y est concomitamment adjoint. Et sur cette filière , le premier client du groupe Eramet évoqué sait également faire et c’est une référence mondiale.
Le choix pour le Gabon de ses partenaires ne saurait plus être une option à l’heure de la 5ème République
Le Président de la République fixe un cap. La transformation locale de nos matières premières entre dans le sens de l’histoire. Tout pays qui vise le développement, doit pouvoir moderniser son économie. Et cela passe inévitablement par de telles initiatives. Il faut bien comprendre qu’on vit dans un monde où certains partenaires n’ont pas intérêt à ce que notre pays se développe (c’est vrai pour beaucoup de pays africains dont le Gabon). Ce modèle de l’économie de rente vieux de 70 ans au moins est appelé à devenir marginale (au moins). La représentante d’ERAMET pose sans doute des questions intréssantes, mais elle est surtout dans un rôle qu vise à perpétuer un système qui ne fait pas les affaires de notre pays (pour ne pas aller plus loin).
Lorsque Ali Bongo avait décidé en 2010 d’arrêter l’exportation du bois en grumes, il avait été confronté à des critiques similaires (absences d’infrastructures grosso modo). Au final, la ZES de Nkok est une réalité et nous transformons partiellement notre bois. Il faut que le Président garde ce courage politique. Comme cela est suggéré dans l’article, en tenant compte de nos faiblesses actuelles, on pourrait procéder par incrémentation et commencer à transformer un premier quota en 2029. Cependant, c’est aujourd’hui qu’il faut commencer à préparer la saison qui verra notre récolte. Il ne faut demeurer les bras croisés et se laisser convaincre par ces discours débilitants énervants (dans toutes les acceptions du terme). Bref.Total soutien au Gouvernement.
La politique d’Oligui soulève des questions en raison de sa position sur la relation avec la Françafrique.
En juin 2024, à Paris, Oligui a déclaré qu’il n’avait pas l’intention de s’opposer à ses partenaires, faisant référence aux intérêts français au Gabon.
La France continuera de défendre ses intérêts au Gabon chaque fois qu’ils seront menacés.
Oligui devra donc trouver un équilibre entre répondre aux attentes de son peuple et maintenir ces partenariats.
Il aura donc le choix, soit de satisfaire son peuple ou de le trahir.
Les intérêts français au Gabon soutiennent-ils le maintien d’un statuquo devenu in fine contreproductif pour la gaule (Niger, Mali…) d’autant plus qu’ils prospèrent au détriment d’un réel épanouissement des populations et le développement du pays à l’instar de ce qui est observé en Guinée équatoriale voisine …
Le destin du Gabon, pour une fois doit être construit par les gabonaises et les gabonais. Il sera soutenu par les vrais partenaires, et la planète en compte au-delà de toute chose
En language code,la france va s’assurer que le Gabon ne transforme jamais son manganese car cest sera un precedent
Sommes nous preparer a contrecarre une destabilisation? Mr le president il est important de revoir votre cellule de communication, il faut eduquer le peuple pour qu’il soit pret a faire barrage. L’AES se bat pour ca, nous encore le cancer n’a pas encore metastasé donc gerable.
La France présente dans Le Haut-Ogooué et l’Ogooué-Lolo, derniers bastions miniers de la Françafrique au Gabon, ne cédera rien. La France pourrait même utiliser l’affaire Hervé Patrick O pour garder son influence sur les minerais du Sud-Est du Gabon.
Le Gabon est UN et INDIVISIBLE.
Toute approche consistant à disséquer le pays en région, ethnies…ou à l’inféoder à un homme, seul, fait le lit de la gaule; toute chose ayant contribué à perpétuer le sous développement et l’asservissement honteux et ignobles de notre pays, enlisé du fait de nos propres faiblesses dans les imbécilités du style « …on va encore faire comment…on dit quoi… »
L’heure n’est plus aux concessions exploitantes mais au «développement partagé».