Pour obtenir l’expiation de leurs fautes, certains versent dans l’amalgame. Ils convoquent les grands mots, se risquent à des déductions hallucinantes. Comme s’il s’agissait d’une simple péripétie, le génocide tutsi est évoqué avec une rare légèreté.

Pourquoi neuf membres à la Cour constitutionnelle ou à la Haute autorité de l’audiovisuel (Hac) ? Loin d’être des émanations de la République ou de l’État unitaire, ces entités sont des regroupements de représentants des différentes provinces. Faut-il l’occulter ? © Montage Gabonreview / Alamyimages

 

Pour avoir évoqué la participation des Tsogho à la vie publique (lire «Les Tsogo : une communauté politiquement déclassée ?»), après avoir parlé du malaise né de l’éviction cavalière d’Eugène Mba de la mairie de Libreville, nous avons été assimilés à Radio Mille-collines, accusés de diffuser des «appels à la haine.» Pourtant, dans le premier cas, nous exposions des faits sans prendre position. Dans le second, nous relayions les propos d’un député en exercice. Mais le raccourci intellectuel et l’accusation gratuite sont faciles à manier. Permettant de se donner bonne conscience, ils consistent à imputer à autrui la symétrie de ses propres turpitudes. Pour mieux tirer bénéfice de la manipulation du fait ethnique, il suffit d’interdire aux autres de l’aborder. Il convient de se livrer à des parallèles hasardeux, quitte à sombrer dans la caricature.

Géopolitique

Effectivement, nous avons été accusés de diffuser un «discours tendancieux et tribaliste» voire d’être un «organe de presse de propagande de la barbarie inhumaine»… Bien entendu, le trait était forcé. Comme dans ce tristement célèbre article, paru en octobre 2016, livrant Hugues Nordi, alors premier conseiller à l’ambassade de France, à la vindicte populaire, au point d’inviter «tous les Gabonais habités d’un minimum de patriotisme à abattre cet homme nuisible.» Difficile de faire pire dans l’outrance et la négation de la déontologie journalistique. Pour obtenir l’expiation de leurs fautes, certains versent dans l’amalgame. Ils convoquent les grands mots, se risquent à des déductions hallucinantes. Le procédé est grotesque mais commode. Comme s’il s’agissait d’une simple péripétie, le génocide tutsi est évoqué avec une rare légèreté. Comme si l’histoire du Rwanda pouvait se résumer à quelques phrases. Comme si le propos d’Estelle Ondo ou notre article sur les Tsogho s’en prenaient à un groupe ethnique.

Sur cette grandiloquence mémorielle, il faut crier haro. Destinée à éluder le débat sur la réalité gabonaise, elle entache l’honneur de ses utilisateurs. Et pour cause : sous prétexte d’une volonté de «réaliser la fusion des ethnies» et de conjurer les «rivalités inter-ethniques», le parti unique fut instauré en 1967. Depuis lors, le Parti démocratique gabonais (PDG) procède à la cooptation de l’élite politique et administrative selon une méthodologie bien connue : la «géopolitique». Aujourd’hui encore, cette logique crache son venin : dans toutes nos institutions, les membres sont désignés en fonction d’un dosage ethnique et provincial. Pourquoi neuf membres à la Cour constitutionnelle ou à la Haute autorité de l’audiovisuel (Hac) ? Quand on connait le découpage administratif, la réponse s’impose d’elle-même : loin d’être des émanations de la République ou de l’Etat unitaire, ces entités sont des regroupements de représentants des différentes provinces. Faut-il l’occulter ?

Ne pas se bander les yeux

Par ailleurs, tout le monde l’aura constaté : le maire déchu de Libreville, Léandre Nzué, fut remplacé par une personnalité censée représenter le même groupe ethnique, la même province et le même arrondissement. Mieux, tout le monde en est convaincu : au terme du vaudeville en cours de tournage, les mêmes considérations prévaudront pour la désignation du successeur d’Eugène Mba. Pourquoi la règle de l’alternance Fang/Mpongwè a-t-elle été instituée à la mairie de la capitale ? Qui en est le concepteur ? Au lieu de se complaire dans les procès en sorcellerie, les bonnes âmes seraient mieux inspirées de plaider pour un changement de pratique politique. Elles gagneraient à ne pas se bander les yeux, à décrire la réalité et à respecter notre droit au libre commentaire. Autrement, elles s’enliseraient dans un travers mille fois dénoncé : la confusion entre le métier de journaliste et celui de propagandiste.

Dans une nation en construction, peut-on nier les identités à coup d’imprécations ? C’est la suggestion de certains sectateurs. Seulement, hors de la République et de ses valeurs, point de lutte contre l’ethnisme et ses manifestations. L’Union ? Pas celle de façade. Mais la vraie, celle fondée sur la libre adhésion de chacun à une vision du monde, sur le strict respect du droit à la liberté de réunion et d’association. Le Travail ? Plutôt la promotion au mérite et le culte de l’effort. Non pas des prébendes distribuées aux meilleurs affidés, sur des bases politiciennes et… tribales. La Justice ? Plutôt le droit de tout citoyen de se faire entendre, d’exercer ses droits, de contester les mesures discriminatoires et d’engager la responsabilité des gouvernants. Forts de cela, les républicains ne se laisseront pas intimider par les fatwas des artisans de la sclérose de la pensée.

 
GR
 

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