Les obsèques d’Albert Yangari Ngoruma, figure tutélaire du journalisme gabonais, ancien directeur du quotidien L’Union et ancien ministre décédé le 18 novembre dernier, sont en cours. Elles ont été marquées, ce 7 décembre, par les hommages de sa corporation dans l’enceinte du journal L’Union où sa dépouille mortelle a été exposée un moment. Tout a été dit sur ce patron de presse atypique ayant marqué des générations de journalistes par son style de vie. Du fait d’avoir déjà publié un article nécrologique sur le concerné, GabonReview a choisi de rééditer, à l’occasion, le témoignage de Germain Ngoyo Moussavou, lui-même ancien patron de L’Union et actuellement président de la Haute autorité de la communication (HAC).

© GabonReview

 

Le texte de Ngoyo Moussavou :

Décès d’Albert Yangari : le père du billet « Makaya » s’en est allé

Ngoyo Moussavou, journaliste, ancien ambassadeur du Gabon en France, actuel président de la Haute autorité de la communication (Hac). © D.R.

Je voudrais débuter l’hommage que je rends ici-même à Albert Yangari Ngoruma, journaliste de renom et grand patron de presse, qui nous a quittés tragiquement le samedi 18 novembre 2023, par une anecdote pittoresque. Nous sommes un week-end de l’année 1979, jeune journaliste stagiaire au quotidien national l’Union, je suis désigné, avec le photographe Edouard Nzame, pour couvrir un samedi matin une audience de Mme Joséphine Bongo, côté résidence du Palais Rénovation. La Première dame de l’époque a rendez-vous avec le ban et l’arrière-ban du bureau national de l’Union des femmes du Parti démocratique gabonais (UFPDG) dont elle est la présidente d’honneur.

Le chauffeur affecté aux reportages ayant fait faux bond, je commets l’erreur de ne pas y aller avec mes moyens propres. Le photographe Edouard Nzame idem. Panique générale à la réunion de rédaction du lendemain dimanche. Pierre Célestin Ndong Ondo, le directeur de la rédaction au moment des faits, avait prévu de placer cette activité politique de Mme Joséphine Bongo à la une de l’Union. « Boycotter » une rencontre publique de la Première dame Joséphine Bongo au plus fort du parti unique triomphant était à la limite « suicidaire » pour le journaliste négligent affecté à la tâche.

L’histoire du journal l’Union est jalonnée d’exemples de journalistes et de directeurs de la rédaction remerciés pour moins que ça. Mon directeur de la rédaction d’alors avait-il craint pour son poste ? Surtout que celui qui aurait pu amortir le choc d’une telle outrecuidance, le directeur général Albert Yangari, qui cumulait cette fonction avec celle de directeur de cabinet privé du chef de l’Etat Omar Bongo, était en mission en Europe.

 La sentence tombe comme un couperet, le photographe et moi-même sommes limogés séance tenante. Mais une partie des journalistes présents à la réunion de rédaction trouvant la sanction exagérée, plaida pour des circonstances atténuantes. Le renvoi définitif se mua en mise à pied. Jusqu’au retour de mission d’Albert Yangari. Rentré de son séjour à l’étranger, M. Yangari (c’est ainsi que je l’appelais) me reçoit dans son bureau de la Sonapresse (société éditrice du journal l’Union). Le directeur de la rédaction avait fait son rapport.

Mais alors que je m’attendais à recevoir une volée de bois vert, le licenciement en prime, j’eus droit, contre toute attente, aux conseils d’usage du chef, du doyen, du sage. Le journalisme est un sacerdoce qui exige beaucoup de sacrifices me dit-il. Il prit l’exemple d’un journaliste congolais, qui fut son condisciple au studio école de l’OCORA (office de coopération radiophonique) à Paris, qu’il avait revu à Brazzaville couvrant à pied les activités de feu le président Marien Ngouabi, d’un bout à l’autre de la capitale congolaise, le Nagra en bandoulière, faute de logistique appropriée.

Sous le « socialisme scientifique bantou », cher au Parti congolais du travail (PCT), on vivait chichement en ce temps-là. Il fallait se débrouiller avec les moyens du bord. Je ne fus pas licencié, le photographe non plus. Mais je retins la leçon : le métier de journaliste est un sacerdoce.

Albert Yangari était la bonté personnifiée, un phare, une boussole, un leader positif. Ce qui explique les nombreux témoignages de sympathie et de tristesse depuis l’annonce de son décès. C’est Albert Yangari qui m’a recruté à l’Union, dont il fut des décennies durant le patron. J’ai beaucoup appris à ses côtés.

C’était quelqu’un d’investi, qui s’intéressait au travail de chacun des journalistes de la rédaction. On l’aimait, on l’admirait, on le respectait. J’ai toujours eu une grande estime pour ce journaliste engagé et courageux, toute sa vie publique durant, il a su donner le meilleur de lui-même à son pays.

Je pleure un des grands pionniers du journalisme gabonais, qui a marqué l’histoire et l’évolution de la radio, de la télévision et de la presse écrite de notre pays. Je pleure l’inventeur du célèbre billet « Makaya », qui m’a donné ma chance en me mettant le pied à l’étrier. Je pleure celui qui me conseillait, alors jeune journaliste, de bien travailler et de progresser sur le plan de la personnalité. Il y a un peu de lui en moi. Last but not least, Albert Yangari aimait la vie, il était la vie et il restera pour toujours dans la vie.

Par Ngoyo Moussavou

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GR
 

1 Commentaire

  1. DesireNGUEMANZONG dit :

    Bonjour Monsieur Ngoyo Moussavou,

    Vous écrivez que  » Boycotter une rencontre publique de la Première dame Joséphine Bongo au plus fort du parti unique triomphant était à la limite suicidaire pour le journaliste négligent affecté à la tâche ».

    Monsieur Pierre Célestin Ndong ondo le savait mieux que vous et en à mesuré les conséquences. Pierre Célestin Ndong Ondo est un grand journaliste. Si j’ai bonne mémoire, de la même promotion du journaliste Oyono. Il a notamment dirigé l’ANPAC et a été Conseiller spécial d’Omar Bongo Ondimaba. Ne le faites pas passer un homme qui ne comprenait rien et totalement irresponsable.

    Je comprends votre émotion de la perte d’un « mentor ». Votre hommage ne devrait pas entaché le capital réputationnel de ce Monsieur. Car je connais personnellement Pierre Célestin Ndong Ondo. Un Monsieur d’une intelligence rare et d’une vision politique pointue.

    Cordialement.

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