Si chacun y va de son couplet dans le débat actuel sur la dépénalisation de l’homosexualité, Emmanuel Ntoutoume Ndong, diplômé de l’École nationale d’administration de Paris ayant auparavant fait ses humanités en Philosophie, a choisi de resituer la controverse dans son contexte sociopolitique. Inspecteur général des finances, il brosse un tableau économique du Gabon qui aurait dû, selon lui, amener le gouvernement à ne pas susciter une «problématique dont ni la pertinence, ni l’urgence ne sont attestées».

Les sociétés occidentales «sont héritières de la Grèce antique où l’homosexualité était pratiquée ouvertement et où elle avait une fonction pédagogique». Illustration (Grèce antique : coupe à figures rouges représentant une scène érotique. Paris, musée du Louvre) © Leemage/ lepoint.fr

 

Diplômé de l’École nationale d’administration (ENA) de Paris, Emmanuel Ntoutoume Ndong est inspecteur général des finances. © D.R.

Je voudrais tirer mon chapeau aux hommes d’église qui viennent de se prononcer clairement contre la dépénalisation de l’homosexualité dans notre pays. Leur posture est digne et respectable. Elle tranche avec celle de ces des représentants du peuple qui ont cru devoir se dédouaner en se cachant derrière une abstention qui n’a servi à rien, sinon à conforter ceux qui disposaient déjà d’une majorité arithmétique.

La question qui se pose, à mon sens, n’est pas : être pour ou contre l’homosexualité. Ce serait trop facile. L’homosexualité n’est pas un phénomène inconnu au Gabon. Même si elle a toujours été diffuse, voire confidentielle, la pratique existait, mais était considérée comme une curiosité exotique, une bizarrerie marginale, sans que cela ne dérange outre mesure.

La vraie question est de savoir pourquoi une disposition que le gouvernement, sans que personne ne lui ait rien demandé, a introduite dans le code civil il y a à peine un an, doit tout à coup en être retirée? Cela laisse à penser que la pénalisation n’a été qu’une ruse, une feinte pour duper les gabonais et s’attirer la sympathie de certains lobbies internationaux bien identifiés, ou quelques subsides. Il est pour le moins surprenant que les mêmes qui mettent tant d’ardeur à défendre les droits de l’homme en Afrique, s’agissant de l’homosexualité, sont aussi les premiers à fermer les yeux quand les dictateurs africains volent les élections, massacrent des populations aux mains nues et emprisonnent les opposants. Le fait que la présence de nombreux prisonniers politiques dans les geôles gabonaises ne les préoccupe pas montre que le respect des droits de l’homme n’est pas leur finalité. Le but poursuivi par les promoteurs de l’homosexualité en Afrique est en réalité de freiner l’expansion démographique africaine qui semble donner des insomnies à certains. Le tour de passe-passe du gouvernement est une tactique pour internationaliser ce débat et court-circuiter les gabonais qui ne sont pas aussi naïfs que certains le croient.

Mais dans sa précipitation, le gouvernement a commis deux erreurs, une mauvaise évaluation du moment et une méconnaissance des ressorts intimes de la culture gabonaise.

Une mauvaise évaluation du moment ( le kairos ) parce qu’aujourd’hui, les gabonais sont plus préoccupés de leur survie que de se voir imposer un débat philosophique sur l’homosexualité. Ils n’ont pas d’eau dans leurs robinets, n’arrivent plus à se nourrir correctement, ne roulent pas sur de bonnes routes, n’ont pas assez d’écoles pour leurs enfants, et s’ils ont la mauvaise idée de tomber malades, ils ne peuvent pas se faire soigner faute de médicaments et de plateaux techniques dans les hôpitaux. C’est donc un débat qui leur paraît surréaliste et inopportun au regard des grands enjeux de l’heure.

Une méconnaissance des ressorts intimes de la culture gabonaise parce que les promoteurs de cette loi ignorent que les différentes coutumes gabonaises participent d’un substrat culturel commun qui fait que nous partageons les mêmes valeurs et les mêmes tabous. Le rejet quasi unanime de cette loi par les populations illustre cette homogénéité culturelle. C’est la première fois de toute l’histoire du PDG qu’une proportion aussi importante de ses députés refusent de voter aveuglément un projet de loi présenté par un gouvernement. Même s’ils n’ont pas osé franchir le Rubicon, en optant pour l’abstention, le fait est suffisamment rare qu’il mérite d’être souligné. Il marque un point de rupture entre la société civile et la société politique.

Les défis que notre pays doit relever aujourd’hui sont colossaux et innombrables. Ces défis sont d’abord politiques. En effet, depuis l’annonce de la maladie d’Ali Bongo, le 24 octobre 2018, et l’indisponibilité de fait de la présidence de la République que cette situation a entraînée, personne, à part quelques initiés, ne sait qui dirige réellement le Gabon. Depuis cette date, il règne au sommet de ce qui nous tient lieu d’État une cacophonie qui menace gravement la stabilité politique du pays. La solution constitutionnelle pour y remédier existe, mais ceux dont la mission est de réguler le fonctionnement des institutions refusent obstinément de l’appliquer et font comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Ces défis sont ensuite économiques et sociaux. Depuis fin 2014, notre pays traverse une crise économique et financière d’une ampleur sans précédent. L’effondrement des cours du pétrole et du manganèse, le recul du secteur hors pétrole aggravé par les effets des mesures de sauvegarde sanitaire liées à la pandémie, ont asséché les finances publiques et ôté toute marge de manœuvre aux entreprises, d’où l’explosion du chômage et de la pauvreté. Les classes moyennes qui jouent traditionnellement le rôle de filet social dans notre pays sont elles aussi frappées de plein fouet.

Mais la conjoncture n’explique pas tout. S’y ajoutent, une gouvernance catastrophique, des décisions économiques erronées, et des détournements massifs de l’argent public par ceux qui dirigent l’État, le tout couronné par une explosion exponentielle de la dette publique. Cette dette est appelée à se renchérir compte tenu de la médiocre notation du Gabon qui se classe désormais parmi les pays à très haut risque pour les investisseurs potentiels. Si l’on ajoute à cela les effets dévastateurs de la pandémie, on se retrouve en présence d’une situation potentiellement explosive.

Face à ce tableau catastrophique qui appelle des solutions urgentes et opérantes, le gouvernement préfère nous distraire avec une problématique dont ni la pertinence, ni l’urgence ne sont attestées. Mieux, le gouvernement donne l’impression fâcheuse d’être désemparé, ne sachant plus sur quel pied danser, ni à quel saint se vouer.

Deux événements récents illustrent cette panique gouvernementale. Le premier est l’idée saugrenue, contraire à la constitution, de taxer les retraits bancaires de 2% à partir de 1 000 000 francs CFA. Serge- Maurice Mabiala, l’un de nos meilleurs fiscalistes, a tourné cette imposture en dérision dans une tribune libre qu’il a récemment publiée. Le deuxième événement tout aussi troublant est constitué par la loi de finances rectificative adoptée par le gouvernement lors du conseil des ministres du vendredi 12 juin 2020. Ce budget n’est ni réaliste ni sincère.

Il n’est pas réaliste parce que l’écart entre la loi de Finances initiale arrêtée à 3.330 milliards de francs CFA et la loi de finances rectificative établie à 3.047 milliards de francs CFA, n’est que de 283 milliards de francs CFA. Comment est-ce possible quand, dans le même temps, on annonce une baisse de près de 40% du cours du pétrole, passant de 57 dollars US dans la loi de finances initiale, à 30 dollars US dans la loi de finances rectificative, une chute du cours de manganèse de 27,8% doublée d’une chute de 23,3% de la production ?

Ce budget n’est pas sincère parce qu’à moins d’un recours accru à l’endettement extérieur de plus en plus cher, le chiffre de 3.047 milliards de francs CFA avancé ne s’explique pas quand, au même moment, on annonce une baisse du Produit Intérieur Brut (PIB) de 10%, une baisse de l’activité de 2% et une baisse des recettes budgétaires de 700 milliards de francs CFA. Or compte tenu des incertitudes qui entourent la pandémie de la Covid-19 quant à son évolution, rien ne permet d’envisager un retournement de conjoncture imminent pouvant justifier un tel optimisme.

Était-il donc vraiment judicieux, dans un contexte aussi déprimé, et où l’union sacrée doit être de rigueur, d’ouvrir une guerre de religion ? Parce qu’elle divise les gabonais et qu’elle ne présente aucun caractère d’urgence, et que de surcroît elle n’est pas conforme à la constitution, cette loi doit être retirée. Ceux de nos compatriotes qui, pour la défendre, s’appuient sur l’exemple des pays occidentaux qui ont adopté ce type de législations doivent savoir trois choses :

1- que ces sociétés sont héritières de la Grèce antique où l’homosexualité était pratiquée ouvertement et où elle avait une fonction pédagogique. Pédagogie dérive du grec ancien paidos (enfant), la pédophilie étant l’amour des enfants ;

2- que ces sociétés sont repues et qu’elles ne sont plus confrontées comme nous aux besoins élémentaires de la vie ;

3- que les sociétés africaines ont une relation réservée avec tout ce qui concerne la sexualité.

Emmanuel Ntoutoume Ndong, diplômé de l’Ecole Nationale d’Administration de Paris, inspecteur général des finances

 

 

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GR
 

8 Commentaires

  1. diogene dit :

    En mettant des rectangles noirs sur certaines parties de l’illustration vous faite preuve de couardise ! Ce vase est dans un musée ouvert à tous les publiques et les établissements scolaires y sont régulièrement invités, mais il se situe dans une république…(pour la rédaction)

    Si l’on consulte l’histoire, les sociétés humaines qui ont pratiqué et encouragé l’homosexualité n’ont jamais subi de baisses démographiques.

    En revanche, la peur démographique a été réglée récemment dans certains pays par d’autres méthodes.
    Stérilisation forcée des femmes en Inde, limitation du nombre d’ enfants en Chine, extermination d’une frange de la population au Rwanda, sans compter les guerres saintes, les guerres économiques, etc…
    Exit le complot LGBT anti africains !

    Regarder dans un dictionnaire contraception et avortement cela pourrait vous servir !

    Merci de rappeler que les problèmes sont ailleurs. Pourquoi alors ce titre racoleur ?

    Vous devez en voir de la misère au travers du pare brise de votre 4X4 climatisé immatriculé 151 sur fonds bleu. (humour à vil prix)

    J’attends votre tribune sur le détournement de fonds, ses mécanismes et ses auteurs, vous avez toutes les preuves sur votre bureau !

    En conclusion malheureusement vous remettez le couvert sur des inepties quant à l’héritage sociétale d’une pratique au demeurant naturelle.

    • John SIMPLIX dit :

      M. Diogène, « naturelle » vient de « nature ». La pratique naturelle de l’estomac est de digérer les aliments et le destin naturel des aliments que nous consommons est d’être dirigé par l’estomac pour y être digérés. L’une des lois les plus fondamentales de l’ordre naturel est celle de la l’inter-nécessité ou de la synergie systémique entre les éléments appartenant à un même ordre. Le pénis appartient au système uro-génital donc à l’ordre de la procréation, l’anus appartient au système gastro-intestinal, ces deux éléments du corps humains participent de la dynamique fonctionnelle d’évacuation de tout ce que le corps rejette, autrement dit, selon l’ordre naturel, ce sont des portes de sorties. Le pénis se singularise en outre par le fait qu’il est la porte de sortie de 2 substances dont l’une est destinée à la procréation en passant par le complexe et l’interaction sexuelle homme-femme, moteur de la multiplication de l’espèce humaine depuis l’origine. Par conséquent, votre assertion, je cite « d’une pratique au demeurant naturelle » est ontologiquement fausse. La relation pénis-anus est tellement contre nature que même les chiens de nos villages et toutes les espèces à reproduction sexuée savent faire la différence.

      • Moussavou Jacques dit :

        @John Simplux. Vous avez raison. L’homosexualité est effectivement contre-nature. Ça ne se discute même pas. Mais, doit-on sacraliser ce qui est naturel ? La nature peut elle nous gouverner ? Sommes nous disposés à appliquer la loi de la nature ? Laissez les pedes vivre leur vie

        • Contre-nature et soulagée de l'être dit :

          +1
          La civilisation est elle-même contre-nature, la protection des faibles est contre-nature, s’habiller à la mode est contre-nature… Heureusement effectivement que nous ne vivons pas à l’état de nature — cf Hobbes & le contrat social de Rousseau !

          Par ailleurs, a-t-on le droit de rire à « l’argument » d’utilisation de l’homosexualité comme moyen de lutte contre la démographie en Afrique ? C’est inepte : l’homosexualité des uns n’empêche pas l’hétérosexualité ou la bisexualité des autres…

    • Gabonreviewadmin dit :

      Vous avez raison, cher Monsieur Diogène. C’est réparé pour ce qui est de l’illustration. Merci de continuer à suivre.

    • beka dit :

      @ diogene, Bonour.

      Si la pratique de l’homosexualité est si « naturelle », on la désigne par quel nom dans votre langue maternelle ?

  2. A tar NZAME, maman mè yo dit :

    Bonne anlyse M.Emmanuel Ntoutoume Ndong, Je suis comblé, satifait de la lecture que je viens de faire, relative à votre publication sur les défis politiques, économiques et sociaux que notre pays doit relever aujourd’hui.
    Ces défits colossaux et innombrables dont vous avez exposé les grandes lignes disons orientations doivent servir de boussole à nos frères chargés de l’économie et des finances publiques de notre pays, ils le savent, ils font semblant de ne pas voir nous les regardons…peut-être impuissamment mais aussi Dieu les regarde: car ayant connu Dieu, ils ne l’ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu grâces; mais ils se sont égarés dans leurs pensées, et leur coeur sans intélligeance a été plongé dans les ténèbres. Nous avons
    une constitution pour tous, la loi fondamentale. Soyons tous Gabonais Rappelons nous de la lettre de Cousteau: » Que l’UNESCO et le VATICAN protègent le Gabon contre les oppresseurs et leurs mauvaises pratiques sur cette terre bénite de Dieu.

    Oui le Gabon est notre espoir en matière d’intelligence, de savoir et de connaissance des choses ordinaires.

    Alors le monde doit se prosterner devant le GABON en l’élevant pour que lui ensuite, s’élève. »

  3. Lavue dit :

    Les maux dont souffrent les populations gabonaises et pour lesquels ses Dirigeants sont entièrement responsables sont clairement décrits dans cette tribune de M. NTOUTOUME, qu’il faut saluer. Aucune personne sérieuse et intellectuellement honnête ne saurait nier:
    – L’inopportunité, voir l’inutilité du vote d’une pareille loi au moment où le pays traverse d’énormes difficultés dans plusieurs domaines.

    -la méconnaissance par les très hauts responsables politiques au pouvoir des ressorts internes de la culture gabonaise (ces dernières années le pays a été dirigé officiellement ou dans l’ombre par des personnes faiblement cultivées voir totalement acculturées sur le plan des valeurs locales on peut citer: ALI BONGO lui même, ACCROMBESSI, LACCRUCHE ALIANGA, Sylvia BONGO, j’en passe et maintenant NOURREDIN BONGO pour ne citer que ceux-là.

    -L’indisponibilité de la Présidence est une évidence depuis les ennuis de santé d’ALI BONGO. La question de savoir qui dirige réellement le Gabon continue d’interpeller tout le monde. Comment comprendre les mises à l’écart survenus au fort moment de la maladie du Président et même pendant sa convalescence, dont personne ne sait s’il en sortira un jour.
    – La gouvernance catastrophique (comptez vous mêmes le nombre de premiers ministres qui se sont succédés ainsi que les ministres et même vice-président), les choix économiques erronés (route-OMBOUE-POG, CAN 2017, GRAINE, etc.) et les détournements massifs (très hauts cadres du régime emprisonnés) en sont la parfaite illustration.

    Non messieurs on ne va s’attarder sur des déclarations de moindre portée comme celle de savoir si l’homosexualité réglerait ou pas le problème de la démographie. De toute évidence si ce phénomène prenait une très grande ampleur (quand on connait le degré de précarité dans lequel vivent beaucoup de jeunes aujourd’hui) il n’est pas exclu qu’il ait un impact sur le taux de natalité. Mais surtout il est important d’éclairer nos jeunes sur ces anormalités, dont les Européens veulent faire accepter au reste du monde.
    Ces anormalités ont peut les tolérer mais pas agir pour qu’elles apparaissent comme des choses normales. Ce qui est naturelle c’est l’hétérosexualité, on le voit chez tous les autres mammifères dont l’homme en faut partie. L’homosexukaité n’est pas une pratique naturelle M. Diogene, cette fausse affirmation émane de l’aliénation véhiculée par les Occidentaux héritiers de la Grèce antique, comme l’a si bien indiqué M. NTOUTOUME.

    Je me permets de questionner Diogene, que veut-il savoir sur les détournement de fonds.
    Au Gabon les choses ne sont pas compliquées. Vous êtes dans le système et protégé politiquement au très haut niveau, vous êtes tranquille, vous pouvez agir sereinement. Le jour où vous voulez vous éloigner du système on vous rattrape et on vous jette en pâture. En tous cas les détournements sont une marque de fabrique du système BONGO-PDG qui ne datent pas d’aujourd’hui et que tout le monde reconnait, sauf vous apparemment.

    Je réitère mon appréciation à cette tribune de M. NTOUTOUME, elle a le mérite de ne pas faire dans la langue de bois, elle éclaire l’opinion et présente éclairement la médiocrité dans laquelle les Émergents gèrent le pays. Sachez qu’il est impossible d’étouffer la vérité, avec le temps elle finit toujours par resurgir.

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