Dans le contexte de dépression économique et de rareté budgétaire caractérisant aujourd’hui le Gabon, la pandémie du Covid-19 y crée de nombreuses incertitudes, estime Emmanuel Ntoutoume Ndong, diplômé de l’École nationale d’administration de Paris. Inspecteur général des finances, il pense que les mesures adoptées, au Gabon, contre cette pandémie, s’annoncent insoutenables pour son économie et n’éviteront pas à notre pays de sombrer dans la dépression. Sa tribune libre se termine par une réflexion philosophique interpellant toute l’humanité.

«En économie, la situation du Gabon a un nom : la dépression», dixit Emmanuel Ntoutoume. © Gabonreview/Shutterstock

 

Diplômé de l’École nationale d’administration (ENA) de Paris, Emmanuel Ntoutoume Ndong est inspecteur général des finances. © Droits réservés

Le coronavirus est apparu en Chine fin 2019. Il s’est ensuite répandu dans tous les pays à une vitesse inédite. Sa transmission se fait par contact rapproché avec une personne infectée. Pour s’en prémunir, le gouvernement gabonais a adopté de fortes mesures de prévention : la fermeture des frontières, le confinement des populations et les restrictions des mouvements.

Quelques jours après, c’est Ali Bongo lui-même qui est monté au créneau en annonçant des mesures d’accompagnement socio-économiques dont le coût est évalué à 250 milliards de francs CFA. Puis le premier ministre est revenu à la charge à la faveur d’une conférence de presse pour détailler les mesures, estimant pour sa part à 600 milliards de francs CFA le coût de la croisade contre la pandémie. Au regard de leur ampleur, ces annonces peuvent paraître insolites dans le contexte de dépression économique et de rareté budgétaire extrême qui est aujourd’hui celui du Gabon.

Puis des soutiens inespérés se sont manifestés. Le 9 avril, le FMI s’est engagé pour une « aide » d’urgence de 147 millions de US dollars, soit 88 milliards de franc CFA, au titre de l’Instrument de Financement Rapide (IFR). De son côté, la BEAC jusque-là attentiste, a décaissé 500 milliards de francs CFA en l’espace de deux semaines pour soutenir les banques de la communauté, revenant du coup sur sa décision du mois de février dernier de reprise des liquidités dans de la zone.

Mais le compte n’y est pas. Pour nécessaires qu’ils soient, ces concours ne sont pas suffisants pour faire face à la crise. Pire, ils n’éviteront pas à notre pays de sombrer dans la dépression, et cela pour deux raisons. La première raison est que l’appui du FMI est destiné au financement de la balance des paiements, donc uniquement au soutien de la position extérieure. La deuxième raison est que les décaissements de la BEAC sont principalement dédiés aux banques commerciales des 6 Etats membres, avec les risques de poussée de l’inflation que peut provoquer une telle injection de liquidités. À moins qu’il ne s’agisse là que d’une opération camouflée de financement des États membres en dehors des cadres réglementaires. En tout état de cause, on est très en deçà de l’enveloppe de 600 milliards de francs CFA présentée par le chef du gouvernement.

Il est important de relever la confusion insidieuse que certains essayent de créer entre les conséquences néfastes du coronavirus et la situation apocalyptique de l’économie de notre pays. Il doit être clair que ce n’est pas le COVID-19 qui a créé la crise économique et financière que traverse le Gabon.  La pandémie n’a fait que l’aggraver et l’amplifier. Pour autant, personne ne peut contester ses effets dévastateurs sur une économie déjà fragilisée.

En effet, après les années euphoriques de 2010 à 2014, l’économie gabonaise est entrée dans un processus de décélération asymptotique en lien avec la chute brutale des cours du pétrole intervenue fin 2014, de la mévente des autres matières premières de base, de choix économiques et budgétaires discutable, et d’une gouvernance hétérodoxe.

C’est donc cette combinaison des effets de la baisse des cours du brut, du ralentissement l’économie mondiale, et d’une gouvernance hasardeuse, qui doit être considérée comme la cause première de la crise, même s’il est indiscutable que la pandémie l’aggrave notablement, avec de lourdes conséquences économiques, financières et monétaires.

Sur le plan économique tout d’abord. Sans remettre en cause les mesures adoptées qui du reste sont les mêmes dans tous les pays, celles-ci s’annoncent insoutenables pour notre économie.

En plus de la panique qu’elle suscite auprès des populations, la pandémie du COVID-19 crée de nombreuses incertitudes. Incertitudes sur la durée de la pandémie. Incertitudes sur l’efficacité des mesures de sauvegarde. Incertitudes enfin sur l’efficience des traitements médicaux proposés. Ces incertitudes favorisent des comportements de précaution dont les conséquences affectent l’économie.

Les secteurs, du tourisme, de l’hôtellerie, de la restauration, du commerce, ou des transports ont pratiquement cessé toute activité. Les autres secteurs bien que moins directement exposés pâtissent de perturbations qui se traduisent par des ruptures d’approvisionnement, ce qui pénalise les entreprises. La réorientation des dépenses de l’Etat vers l’importation des médicaments et des équipements médicaux annoncée par le chef du gouvernement se fera en défaveur des entreprises locales fortement tributaires de la commande publique.

L’économie gabonaise se trouve ainsi prise en étau entre le ralentissement général de l’activité dû aux mesures de sauvegarde sanitaire et la perte des marchés publics par les entreprises locales du fait de la réorientation des dépenses de l’Etat vers l’importation de produits médicaux dédiés à la lutte contre la pandémie. Cela se traduit par une atonie générale de l’activité dans le pays, une explosion exponentielle du chômage et une forte poussée de l’inflation. En économie, cette situation a un nom : la dépression.

Sur le plan financier ensuite. Les chiffres et les notations des grandes agences internationales indiquent une dégradation préoccupante de la situation financière de notre pays, tant en ce qui concerne la position extérieure, qu’en ce qui est des équilibres financiers internes. Au niveau extérieur, le Gabon accuse un déficit du solde global de la balance des paiements en lien avec la détérioration des termes de l’échange (-28,3%) résultant, à la fois de l’effondrement du prix du pétrole, du recul du secteur hors pétrole, de la baisse des exportations, de l’augmentation des importations médicales et de la rigidité des importations alimentaires. Il en découle une dégradation significative des avoirs extérieurs nets du pays et un recours accru à l’endettement extérieur.

La dégringolade de la note souveraine du Gabon classé C c c en dessous de « hautement spéculatif et mauvaise condition » apparaît dans ce contexte comme un véritable coup de massue. Cette notification de Fitch Ratings qui place désormais le Gabon dans la catégorie des pays à haut risque, rend la destination Gabon peu attractive aux investisseurs, réduira les investissements directs étrangers et durcira notablement les conditions de financement extérieurs du pays.

La situation intérieure est tout aussi alarmante. A la dégradation du solde budgétaire global de l’Etat liée à la baisse des recettes budgétaires et à l’augmentation des dépenses publiques, s’ajoutent deux autres facteurs tout aussi pénalisants : le ralentissement des activités non pétrolières (-4,2%) et l’incapacité des entreprises fortement touchées à honorer leurs obligations fiscales.

Quoi qu’en dise le chef du gouvernement, les arbitrages qui seront opérés dans le cadre de la loi de finances rectificative se feront mécaniquement au détriment des dépenses domestiques et sociales : fonctionnement, transferts, subventions et investissements publics.

Sur le plan monétaire enfin. Bien que la BEAC soit théoriquement indépendante des gouvernements, la situation économique et financière dépressive des États membres a forcément des répercussions sur sa politique monétaire. Aujourd’hui, la situation du Gabon se caractérise par une forte diminution des avoirs extérieurs, un faible niveau des avoirs de réserve, une baisse des crédits à l’économie, de graves tensions de trésorerie de l’Etat et des arriérés de toutes sortes.

Au regard de ce qui précède, et qui décrit une situation de dépression, n’est-il pas légitime de s’interroger sur la capacité du Gabon à faire relever simultanément autant de défis ? Notre pays dispose- t-il, aujourd’hui, de marges de manœuvre suffisantes pour honorer les engagements pris par les deux têtes de l’Exécutif ?  Où trouveront-t-ils l’argent nécessaire au financement des mesures qu’ils proposent ? Avec quelles ressources le Gabon va-t-il pouvoir, en même temps, respecter ses engagements vis à vis du FMI dans le cadre du plan d’ajustement en cours d’exécution, assurer le service d’une dette abyssale qui engloutit le tiers du budget de l’Etat, garantir le fonctionnement régulier de l’Etat, et financer la croisade contre le COVID -19 ?

Il existe donc de bonnes raisons de penser que ces mesures ne pourront être ni totalement financées ni correctement appliquées, à la fois du fait des difficultés financières de l’Etat, de l’insuffisance des concours extérieurs, des spécificités du contexte gabonais caractérisé par la persistance de l’informel, la faible fiabilité des statistiques, l’absence d’organismes de planification et de prévision, les faiblesses structurelles de l’administration gabonaise, et aussi de la propension de ce Pouvoir à ne pas tenir ses promesses.

Au-delà des enjeux sanitaires, économiques, financiers et monétaires qui viennent d’être répertoriés, le coronavirus pose un problème civilisationnel et au fond philosophique, celui de la capacité de survie de l’humanité face à une nature de plus en plus éprouvée par ses outrages et ses excès.

La crise sanitaire à laquelle nous faisons face est, à bien des égards, celle de la dégradation des rapports de l’homme et l’ordre naturel. Cette dégradation ébranle les fondements spirituels et rationnels d’une civilisation dont la finalité ultime était la quête de l’idéalité rationnelle.

La vocation prométhéenne, prescrite par Descartes, faisant de l’homme le « maître et le possesseur de nature », s’est muée en un dessein démoniaque d’asservissement total de l’homme et de la nature par les produits d’une raison devenue aveugle à sa propre finalité. C’est en effet au cœur de la raison, par l’histoire inconsciente de ce pouvoir de comprendre qui devait nous permettre de maîtriser le monde et notre être que le mal s’est incrusté.

La recherche pathologique du toujours plus, la mystique de la croissance, la surexploitation des ressources naturelles mettent en péril l’équilibre de la planète et notre propre survie.

Aveuglé par des idéologies sommaires, n’abandonnant les grandes religions et leur profondeur méditative que pour se vouer aux fanatismes les plus simplistes, l’esprit moderne est une caricature de la vraie vie. Le vrai s’y réduit à l’utile, la science se fourvoie en une entreprise technique sans but ni mission consciente.

L’homme a intériorisé cet automatisme acéphale et la désagrégation de ses liens naturels avec le monde accélère l’effondrement moral de la civilisation. Toute transcendance du sens est devenue incongrue et le monde est réduit au modèle le plus pauvre de la réalité : la chose physique.

Dès lors, l’homme a perdu sa position ontologique de serviteur des actes constitutifs et transcendantaux de la pensée, pour s’inventer une nature factice qui lui permet d’être enrégimenté dans le découpage technique de la réalité, s’imaginant que les actes de son être empirique recèlent les lois constitutives du vrai. Et l’humanité exténuée ne sait plus comment renouer avec cet effort ascétique qui permit l’éclosion de la science et de la philosophie.

Se pourrait-il donc que l’humanité soit si proche de la fin ? Non pas de la fin comme l’assomption d’un esprit absolu maître de soi, la réalisation un telos spirituel, mais d’une fin qui nous broie en une lente agonie, une clochardisation de l’esprit ?

La crise du COVID-19 a ceci de positif qu’elle nous rappelle notre condition de mortels, elle nous convie à l’humilité. L’élan de solidarité qui se met en place, tant au niveau international, qu’à l’intérieur des pays, est peut-être l’indice salvateur d’une prise de conscience collective de l’unicité de l’espèce humaine et de notre égale fragilité devant les grands fléaux de la nature.

Emmanuel Ntoutoume Ndong, diplômé de l’Ecole Nationale d’Administration de Paris, inspecteur général des finances.

 
GR
 

10 Commentaires

  1. SERGE MAKAYA dit :

    Akiééé !!! Ali Bongo est MORT. A Ntare Nzame !!! Réjouissons-nous de sa mort depuis octobre 2018… (JE VOUS DIS LA VÉRITÉ, JE SUIS ENCORE DES RENSEIGNEMENTS… MAIS EN SECRET…)… ALI BONGO N’EST PLUS DE CE MONDE DEPUIS OCTOBRE 2018.

    IL NE POURRONT JAMAIS SAVOIR QUI ENVOIE CES COURRIELS… DIEU MERCI… A NTARE NZAME…

  2. Gabao dit :

    Merci à vous Mr E. Ntoutoume Ndong pour votre remarquable contribution. Je suis fier de découvrir qu’existent de brillants compatriotes prêts pour la reconstruction de notre pays. Ils doivent juste nous promettre de ne pas finir dans les filets de la racaille PDG Bongoïste. En effet, dans son livre « Le bug humain », Sébastien Bohler Docteur en Neurosciences, explique pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire notre planète. Les neurones du striatum chargés d’assurer notre survie ne sont jamais rassasiés et réclament toujours plus. Cette région du cerveau nous pousse à l’action: manger, copuler, explorer, conquérir et dominer. Lorsqu’on désactive les neurones à dopamine du striatum chez la souris, elle ne cherche plus de la nourriture, n’explore plus de nouveaux endroits, ne se copule plus, et se laisse mourir. Je crains que la pandémie Covid 19 ne suffise pas à déclencher une remise en cause de nos modes de fonctionnement.

  3. SERGE MAKAYA dit :

    Par contre… envoyez vos MALADES… DOUCEMENT… https://www.youtube.com/watch?v=kexVXf2J7cY&list=RDDU4mB4v9BJc&index=2

    A NTARE NZAME… ON VOUS ATTENDS…

  4. Mezzah dit :

    Merci Monsieur Emmanuel Ntoutoume Ndong.
    Vous nous donnez l’espoir que demain, le Gabon pourrait encore compter sur certains de ses enfants qui l’aiment.

  5. franck mata dit :

    excellent argumentaire! à faire circuler…

  6. SERGE MAKAYA dit :

    « La crise du COVID-19 a ceci de positif qu’elle nous rappelle notre condition de mortels, elle nous convie à l’humilité ». JE CROIS QUE CE N’EST PAS BIEN COMPRIS PART LES BONGO DU GABON, DU CONGO BRAZZAVILLE ET DU MAROC… PARTAGEZ A CES IMBÉCILES SVP…

  7. Tellier Yvon dit :

    JE SUIS FRANÇAIS ET JE NE SAIS COMMENT VOUS VOUS FAIRE CROIRE QUE MONSIEUR ALI BONGO EST BIEN MORT EN OCTOBRE 2018 A RIYAD. OUI, IL EST BIEN MORT EN OCTOBRE 2018. PAROLE DE FRANÇAIS QUI CONNAIT BIEN LE GABON. MERCI A VOUS DE ME CROIRE. ALI BONGO EST BIEN MORT EN OCTOBRE 2018.

    • diogene dit :

      Être français est il synonyme de crédible ?
      Le fait de le croire vous ôte tout crédit.
      Quant à Ali vivant ou pas c’est sa prise du pouvoir et son maintien qui devrait poser problème…Sur le fond et sur la forme !
      J’avais commandé un respirateur en France, à lbv j’ai beau le remonter de toutes les façons possibles, je me retrouve toujours avec un fusil d’assaut fabriqué en France

  8. SERGE MAKAYA dit :

    « La crise du COVID-19 a ceci de positif qu’elle nous rappelle notre condition de mortels, elle nous convie à l’humilité ». QUESTION : CROYEZ-VOUS QUE LES BONGO SONT ASSEZ HUMBLE POUR PARTIR DU POUVOIR ? QUI SE CACHE DERRIÈRE LES BONGO ? POUR MOI QUI AI TRAVAILLE A LA PRÉSIDENCE ET AU B2, CE SONT LA FRANCE ET LE MAROC… ESSENTIELLEMENT…

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