Docteur en science politique, expert international en politiques et industries culturelles et chercheur à l’IRSH (CENAREST- Gabon), Kanel Engandja-Ngoulou relève le refus du ministère de la culture, depuis plusieurs années, de doter le pays d’une Politique culturelle, malgré les appuis techniques et financiers proposés par les organismes internationaux (Unesco et UE, notamment).

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Kanel Engandja-Ngoulou est docteur en science politique, expert international en politiques. © D.R.

Le Gabon vient de faire, une fois de plus, la démonstration de son désintérêt pour la promotion de la culture gabonaise. Est-ce par ignorance de ce qu’est une Politique publique en matière culturelle, ou simplement de ce que la culture peut apporter au développement du pays ?

De quoi s’agit-il ?

L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), avec le financement de l’Union européenne, a lancé en 2019, un appel à projets « Banque d’expertise UE ∕ UNESCO sur la gouvernance de la culture dans les pays en développement : Appui aux nouveaux cadres réglementaires visant à renforcer les industries culturelles et créatives (ICC) et la promotion de la coopération Sud-Sud ». A la suite de cet appel, le ministère de la culture et des arts a soumis son projet intitulé : « Programme de soutien et de renforcement des industries culturelles et créatives au Gabon (PSRICC-Gabon) ». Ce programme visait, entre autres, la révision de la politique destinée au développement des ICC, notamment dans un environnement numérique. Après validation de sa candidature, le Gabon a lancé le PSRICC le 3 mars 2020 à Libreville. La première mission d’expertise qui a suivi cette validation a permis de confirmer les priorités formulées dans la requête gabonaise. Après deux ans de réflexion, c’est un Plan d’actions quadriennal pour les ICC (PAQICC) pour la période 2022-2025 qui est proposé par les autorités du ministère de la culture à la place d’un Document de politique culturelle. Les livrables essentiels de la demande gabonaise donc ont été tronqués. Mais, ce n’est pas la première fois que le Gabon refuse de se doter d’un Document-cadre de Politique culturelle.

Bref rappel historique

  • De 1961 à 1967: Pas de vision claire pour la culture. Quelques lignes directrices vont cependant orienter l’action culturelle du Président Léon-Mba :  se doter d’un musée national, renforcer les installations de radio Gabon (qui existait déjà en 1959), créer une télévision nationale et une administration en charge de la culture (Direction des Affaires Culturelles à l’époque). Sur le plan bilatéral et multilatéral, signature d’une convention culturelle avec la France et adhésion à l’UNESCO.
  • 1970 à 1980: Deux résolutions en matière de politique culturelle nationale. Lors de ses congrès extraordinaires (1970 et 1973), le PDG, parti-Etat à l’époque, vote deux résolutions qui recommandent, entre autres, d’accroître et de soutenir les efforts en matière culturelle, d’encourager les artistes et les artisans gabonais par l’écoulement et la diffusion de leurs œuvres, d’encourager la création de villages artisanaux et de doter les services culturels de moyens financiers nécessaires.
  • 1980 – 1990: Le Plan décennal de préservation du patrimoine culturel et de promotion de la créativité (élaboré en collaboration avec l’UNESCO et l’Institut Culturel Africain – ICA).
  • 2011-2016: Le Plan Opérationnel Sectoriel Culture du PSGE. En septembre 2011, avec le soutien de l’UNESCO et de l’Ecole du Patrimoine Africain (EPA), le Ministère en charge de la culture organise un « atelier national d’élaboration et de validation de la politique culturelle en République gabonaise ». De cet atelier, il ressortira le Document, Les grands axes de la politique culturelle en République Gabonaise, en lieu et place d’un avant-projet de Politique culturelle nationale.
  • 2022-2025: Le Plan d’action quadriennal pour les ICC (PAQICC).

Pourquoi une Politique culturelle plutôt qu’un Plan d’actions ?

Une politique culturelle est une loi d’orientation stratégique, un ensemble de mesures prises pour soutenir ou protéger les activités dans les secteurs considérés comme culturels. C’est un cadre de référence qui organise les interventions de l’Etat dans ce domaine. Elle est liée au financement et à la promotion de la culture. Elle est traduite en plans opérationnels (général et sectoriels) qui précisent les actions à mener afin d’atteindre les objectifs fixés par la Politique culturelle. La Politique culturelle et son Plan d’actions sont donc liés. Une fois adoptés par le Gouvernement, ces deux Documents (Politique culturelle et Plan d’actions) constituent le cadre de référence dans lequel toutes les parties prenantes sont invitées à inscrire leurs efforts pour contribuer au développement culturel du pays. Parce que la culture est transversale, Il appartient à chacune de ces parties (ministère de la culture et les autres départements ministériels, collectivités locales…) de s’y référer pour élaborer son plan d’actions spécifique.

En conclusion, l’histoire montre que, malgré les opportunités techniques (mise à disposition d’expertise) et financières offertes par les partenaires au développement, le Gabon a toujours refusé de les saisir pour doter le pays d’un Document-cadre de Politique culturelle nationale. Est-ce par ignorance de ce qu’est une Politique publique en matière culturelle, ou simplement de ce que la culture peut apporter au développement du pays ? Dans tous les cas, on s’interroge bien sur l’avenir du PAQICC. Rattaché à aucun document de politique nationale, il sera probablement ignoré comme les précédents Plans. Les financements attendus des bailleurs de fonds et des organismes internationaux tarderont sûrement à venir.

Kanel Engandja-Ngoulou,

Docteur en science politique, expert international en politiques et industries culturelles et chercheur à l’IRSH (CENAREST- Gabon)

 
GR
 

1 Commentaire

  1. Matsahanga HG dit :

    L’article de cet expert porte un regard objectif et pertinent sur l’état fe notre politique culturelle. Une attention doit être porteé sur les fondements de cette ambition prospective pour insuffler de la durabilité dans toutes les initiatives impulses dans ce domaine. A l’image de la louable récente cérémonie de distinction des talents que nous souhaitons pérenne. Très bel article.

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